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"Willibald", le passé recomposé de Gabriella Zalapì

Portraits de Gabriella Zalapì. [Editions Zoe]
Entretien avec Gabriella Zalapì, autrice de "Willibald",aux éditions Zoé. / QWERTZ / 21 min. / le 5 octobre 2022
Grand prix de l'Héroïne Madame Figaro en 2019 avec son premier roman "Antonia", la plasticienne et écrivaine réitère avec délicatesse l'exercice acrobatique de la réinvention généalogique.

Cette fois, c'est dans l'histoire de son arrière-grand-père que Gabriella Zalapì choisit de puiser la matière première de ce nouveau récit. Willibald devient, dans les pages de ce deuxième roman, le bisaïeul de Mara, narratrice convaincue que dans la vie de cet homme, se cachent les réponses aux silences obstinés de sa mère, Antonia, et à l'indifférence de sa grand-mère, Esther.

Point de départ de cette quête, voire cette enquête familiale: un tableau accroché dans l'appartement genevois où Mara a grandi, et dont elle connaît chaque coup de pinceau, chaque craquelure. C'est "Le Sacrifice d'Abraham", une toile de maître flamand que Willibald a été contraint de plier et glisser dans sa valise au moment de fuir Vienne en 1938, avant de refaire sa vie au Brésil.

En fait, j'ai grandi avec cette toile, et elle m’a réellement beaucoup marquée. "Willibald" est un tissage entre des faits réels et de la fiction, mais le tableau est réel. Il a été plié, il était très abîmé et a été restauré. Et c'est comme si sa mémoire avait été mise à zéro.

Gabriella Zalapi

Parmi les questions que pose "Willibald", il y a bien sûr celle de la mémoire, du regard et d'un passé qui risque à tout moment de nous dominer. Mais c'est probablement celle de la loyauté qui touche le plus Gabriella Zalapì: "La loyauté envers la famille est aussi le sujet du tableau 'Le Sacrifice d'Abraham'. La loyauté jusqu'où? Jusqu'à quel moment? Dans le tableau, cette question est double. Abraham obéit aveuglément à Dieu, et Isaac se laisse faire. Entre Willibald et sa fille Esther, il y a la même question qui se pose avec toute la violence que cela inclut."

Ecrire par bribes

Là où Gabriella Zalapì nous saisit, c'est dans sa capacité à mettre son écriture succincte, en fragments, au service d'un récit prenant, dont la lecture, par moments, ressemble à un vieil album de famille qu'on feuillette, mais qui garde jalousement ses secrets. C'est par une malle de correspondance récemment rendue à la famille, que Willibald prend voix auprès de Mara; peut-être, qui sait, y trouvera-t-elle de quoi s'attacher à cet homme mystérieux et distant. "Cela a été un très long travail de recherche dans mes archives, pour atteindre un équilibre entre le chemin de Mara, la vie de Willibald et le tableau, puis trouver une forme narrative qui permette d'entendre tout le monde" explique Gabriella Zalapì.

Tisser des liens

C'est là que l'autre métier de l'autrice vient à la rescousse, celui de plasticienne. En effet, l'insertion de visuels rythme les pages de "Willibald": détails de la toile abîmée, morceaux de photos déchirés; mais là encore, des bribes. Seule photo entière – ou presque – celle qui orne la couverture du roman: un homme élégant et fin, la main posée sur sa hanche, dont le visage est étrangement brouillé. "C'est lui, mais pas complètement" s'amuse Gabriella Zalapi, "J'ai tissé sur son visage un autre visage parce que je voulais marquer visuellement le fait que c'est une fiction. Je ne pouvais éthiquement pas mettre mon Willibald à moi. Je devais l'altérer." Seul détail préservé de la photo originale: le regard, peut-être parce que c'est lui qui nous permet d'apprendre de notre passé.

Ellen Ichters/ld

Gabriella Zalapì, "Willibald", ed.Zoé

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