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Les clubs de lecture, ces lieux d'influence féminins

Des femmes en train de lire à Kempten, en Allemagne, dans les années 1930. [AFP - Hansmann / United Archives]
Quartier Livre, la carte blanche de Pascaline Sordet – les book clubs / Quartier livre / 13 min. / le 25 septembre 2022
Les femmes représentent une force discrète mais puissante du monde de l’édition et de la littérature. Pour elles, les sociétés de lecture incarnent depuis toujours un lieu où exercer son esprit critique et construire une culture du débat et de la critique.

Actrice, animatrice et productrice de télévision afro-américaine, Oprah Winfrey est devenue grâce à son talk-show dans les années 1990 une des femmes noires les plus riches et influentes aux Etats-Unis et dans le monde. En 1996, elle a lancé via son émission un book club mensuel. Chaque livre qu’elle a recommandé et que ses téléspectateurs ont donc acheté et lu est devenu un best-seller. On appelle ça "l’effet Oprah".

Historiquement, les book clubs, les sociétés de lecture ou les "bureaux d’esprit" comme on les a aussi appelés, sont des lieux qui permettent aux livres de circuler. Aux Etats-Unis, les chercheurs estiment que 75% des libraires publiques ont été fondées par des groupes de femmes. Enfin, on sait aussi que les lecteurs de fiction sont en écrasante majorité des lectrices, et qu'il y a donc un vrai pouvoir économique et culturel de la lecture.

Un lieu d'influence

A l'époque, "l’effet Oprah" aurait pu se nommer "l’effet Madame de Rambouillet". Dès le XVIIe siècle, les salons littéraires deviennent en effet les endroits où il faut être vu. Il s'agit de lieux d'influence, généralement menés par des femmes. Celui de la Marquise de Rambouillet, qui a tenu salon dans sa "chambre bleue" pendant plus de cinquante ans, est l'un des premiers à Paris. On y croise Corneille, Malherbe et Madame de Sévigné. Mais tous les book clubs ne sont pas menés par des femmes riches et puissantes avec des plateformes médiatiques ou aristocratiques.

Les premières sociétés de lecture recensées en tant que telles sont d'ailleurs des groupes de lecture biblique. Un en particulier a marqué les esprits: celui de Anne Hutchinson, une sage-femme installée en 1634 avec sa famille dans la colonie de la baie du Massachusetts, qui analyse et discute tous les dimanches les sermons donnés à l’Église. Le groupe, d’abord exclusivement féminin, prend une telle puissance critique et intellectuelle qu'Anne Hutchinson finit par être bannie de sa communauté.

Aiguiser son esprit

Pour les femmes, le book club représente un lieu où exercer son esprit critique. Dès le XVIIIe siècle, puis surtout avec la révolution industrielle, les femmes ont peu l’occasion d’exercer une activité intellectuelle, au-delà de la gestion domestique, alors que leur temps libre augmente. Concrètement, elles n’ont pas le droit d’aller à l’université, de poursuivre des études supérieures, de grader dans le clergé. Elles sont loin des lieux de pouvoir et donc de savoir. Lire de la littérature, mais aussi de la philosophie, des ouvrages scientifiques, et en groupe, représente une façon d’aiguiser son esprit, de réfléchir au monde et d’échanger avec ses pairs. Il s'agit de lieux de socialisation importants.

De l’extérieur, il s'agit d'une activité acceptable parce que prude, non-mixte, compatible avec la domesticité car souvent pratiquée à domicile, conforme à la "nature" féminine. Cette image est aussi celle qui a perduré dans la culture populaire, avec un certain mépris. Il y a vraiment quelque chose d’inoffensif dans l’idée qu’on se fait des book clubs.

Un salon littéraire au XVIIIème siècle. Gravure d'Hotelin d'après G. Durand, 1868. [AFP - Collection Roger-Viollet]

Berceau des suffragettes

Et pourtant, il y a une vraie subversion dans ces réunions. Les mouvements de suffragettes au XXe siècle vont se construire en partie dans ces espaces où les connaissances et les opinions des femmes sont articulées et valorisées. On y construit une culture du débat et de la critique, une culture féministe aussi, puisqu'à travers la vie des personnages, on parle de ses conditions d’existence.

Les mouvements d’émancipation, notamment pour les femmes noires américaines, vont également passer par ce type de réunion. Il existe une véritable volonté de s’éduquer hors des institutions, parce que l'on sait que c’est de là que viendra le pouvoir. Encore maintenant, de nombreux book clubs s’organisent en lien avec une appartenance identitaire. En fait, le book club, c’est le boys' club des femmes.

Sujet radio: Pascaline Sordet

Adaptation web:mh

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