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La rentrée littéraire fait une place de choix aux nouvelles voix

La rentrée littéraire de janvier 2022 est surabondante avec plus de 500 parutions. [rossosiena]
R‌entrée littéraire: place aux nouvelles voix / Vertigo / 6 min. / le 16 août 2022
L’automne 2022 se caractérise avant tout par un nombre important de premiers romans, qui laisse présager une réelle diversité dans le paysage littéraire français dans les années à venir. Côté poids lourd, Virginie Despentes avec son "Cher connard" domine de loin les autres titres par la force de son écriture.

Cette année, un peu moins de 500 nouveaux titres vont s’aligner sur les étalages de librairies, 490 très exactement. Les éditeurs français, dans cette période de post-élection, de guerre en Ukraine et d’inflation, ont donc fait un petit effort de sobriété. Les rentrées littéraires affichent d’habitude, et ce depuis des lustres, une production plus importante. 490 titres contre 521 l’an passé, cela signifie une baisse de 6%. C'est le niveau "le plus bas depuis plus de vingt ans", précise le magazine spécialisé Livres Hebdo.

La pénurie de papier, qui a fait augmenter les prix et créé de réels problèmes d’approvisionnement, y est sans doute pour quelque chose. Il faut dire aussi que la profession souffre. Si BD et documents parviennent à tirer leur épingle du jeu, les ventes de romans se sont effondrées la saison passée. Aussi, il est possible que dans les maisons d’édition on ait décidé de remettre, un peu, certaines pratiques en question. Cela dit, la question centrale restera la même: qui va donc décrocher le Goncourt?

Virginie Despentes très attendue

La couverture du livre de Viriginie Despentes "Cher connard". [Editions Grasset]
La couverture du livre de Viriginie Despentes "Cher connard". [Editions Grasset]

Les 345 titres français présents cet automne sont largement dominés par le très attendu "Cher connard", de Virginie Despentes, publié chez Grasset. Attente qui ne déçoit pas. L’autrice de "Baise-moi" signe un texte épistolaire, dialogue entre une comédienne célèbre et un écrivain, qui se sont connus à l’adolescence dans une petite ville de province, et se retrouvent vieillissants. Le roman compte toutes les thématiques présentes dans l’oeuvre de Despentes et examine un à un tous nos maux ultra-contemporains. Avec, bien sûr, son énergie et sa force habituelles.

>> A lire : Figure punk des lettres, Virginie Despentes revient avec "Cher connard"

Si les vrais poids lourds sont rares face à Despentes, on peut noter tout de même la présence d’auteurs et d’autrices très littéraires: Emmanuelle Bayamack-Tam (POL) qui avec "La treizième heure" signe un roman à la fois beau et transgressif avec une famille où, comme souvent chez elle, tous les rôles sont redistribués. Le styliste Yves Ravey (Minuit) revient avec un roman délicatement déstabilisant, "Taormine".

A leurs côtés, des signatures vont, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, occuper l’espace médiatique: Olivier Adam chez Flammarion, Amélie Nothomb chez Albin Michel, Laurent Gaudé chez Actes Sud, Simon Liberati chez Grasset. On note aussi les ambitieux et farfelus faux biopics de Yannick Haenel (Gallimard) et Marcus Malte (Zulma), "Le trésorier-payeur" et "Qui se souviendra de Phily-Jo".

Dans cette déferlante se distinguent plusieurs textes de non-fiction, essais autobiographiques passionnants de Monica Sabolo chez Gallimard, "La vie clandestine", de Brigitte Giraud chez Flammarion, "Vivre vite", de Lola Lafon chez Stock, "Quand tu écouteras cette chanson". Toutes savent remarquablement parler de l’histoire collective à partir d’épisodes privés. Originalité, Léonora Miano publie chez Grasset son premier roman, "Stardust", écrit il y a vingt ans et resté inédit jusqu’à aujourd’hui.

Beaucoup de premiers romans

Ce qui marque vraiment la rentrée littéraire, c’est justement le nombre impressionnant de premiers romans. Ils seront 90, soit 21% de plus que l’an dernier. Cette place inédite réservée à de nouvelles plumes traduit sans doute une volonté chez les éditeurs d’attirer un public plus jeune.

Tous ne sont pas excellents, mais on peut déjà repérer quelques auteurs et autrices remarquables de maîtrise: Diaty Diallo au Seuil, avec "Deux secondes d’air qui brûle", sur les violences policières en banlieue, le texte autobiographique de Maria Larrea chez Grasset, "Les gens de Bilbao naissent où ils veulent", Claire Baglin chez Minuit, "En salle", qui décrit le travail au quotidien dans un fast-food, et l’excellent "Les enfants endormis", d’Anthony Passeron chez Globe. Ce jeune professeur d’histoire retrace les débuts du sida, dans une petite ville du sud de la France, au début des années 1980.

A leurs côtés, une vraie surprise, le premier roman du cinéaste Lucas Belvaux chez Alma, "Les tourmentés". A noter que la majorité de ces premiers romans sont signés par des femmes.

Les auteurs américains très présents

Du côté des 145 auteurs non francophones, les Américains sont comme souvent très présents. Certains ont déjà été traduits, comme Julie Otsuka, Prix Femina 2012, qui publie "La ligne de nage" chez Gallimard, certains sont parfois même très connus comme Russel Banks "Oh Canada" chez Actes Sud ou Jonathan Franzen "Crossroads" chez L’Olivier.

Se détachent pourtant deux excellents premiers romans: "Le lâche", de Jarred McGinnis chez Métailier, et "Houston-Osaka" de Bryan Washington chez Lattès. Les anglophones n’occupent tout de même pas tout le terrain, on remarque par exemple un excellent premier roman traduit de l’allemand chez Le Nouvel Attila, "Ça n’arrive qu’aux autres", de Bettina Wilpert, à propos du consentement. Et surtout, l’impressionnant roman hors-norme, hors du temps et des genres de la poétesse russe Maria Stepanova chez Stock, "En mémoire de la mémoire".     

Sylvie Tanette/aq

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La rentrée romande

Du côté de la Suisse romande, si la production demeure forcément plus modeste, la cuvée 2022 n’en est pas moins prometteuse. Aux éditions Zoé, Gabriella Zalapi confirme avec “Willibald” la singularité de ses généalogies imaginaires, tandis qu’Anne-Sophie Subilia compose un portrait historique et intime, admirable de justesse avec “L’épouse”.

Premiers romans

L’intimité, le couple en crise est aussi au cœur du premier roman d’Odile Cornuz, “Fusil”, aux éditions d’En bas. Publiée par l’éditrice française Sabine Wespieser, la primo-romancière Sarah Jollien-Fardel explore dans une langue âpre et ciselée la violence sourde d’une enfance valaisanne (“Sa préférée”). Premier roman également pour la Genevoise Catherine Logean (“Confessions à un ficus”, ed. L’Arbre vengeur), qui conte les tribulations cocasses d’un anti-héros désoeuvré.

Un brin pathétique aussi, le quadra campé par Abigail Seran dans “Le big challenge” (ed. BSN Press) décide de maigrir à tout prix. Du côté de la fantaisie et des normes sociales, on s’inspirera de la “Vanité” de Reynald Freudiger, aux éditions de l’Aire. Monde d’apparences trompeuses, le cinéma et ses séductions sont également au cœur du nouveau roman de la Vaudoise Anne-Frédérique Rochat (“Quand meurent les éblouissements”, ed. Slatkine).

Un héros, un vrai, dans cette rentrée romande: Winston Churchill, croqué avec malice par la plume virtuose de Corinne Desarzens ( “Un noël avec Winston”, ed. La Baconnière). Révélés à la francophonie par leurs précédents romans, Oscar Lalo (“Le salon”, ed. Plon) et Joseph Incardona (“Les corps solides”, ed. Finitude) reviennent là où on les attendait pas forcément, et cela leur va bien. Autres bonnes surprises de cette rentrée, le Lausannois David Bosc livre une fiction d’anticipation à la poésie superbe (“Le pas de la demi-lune”, ed. Verdier), tandis que Maxime Maillard, dans un petit récit de voyage en Turquie (“Tamam”, ed. La Baconnière), ose le grand saut dans l’ailleurs et l’amour.

NJ