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L'historien français Alain Corbin fait l'éloge du repos

Alain Corbin. [Editions Plon - Jean-Luc Bertini Pasco]
Entretien avec Alain Corbin, auteur de "Histoire du repos" / QWERTZ / 25 min. / le 19 mai 2022
Qu'est-ce que le repos? Et est-ce que le repos existe encore? Alain Corbin, historien français le plus lu à l'étranger, auteur d'une "Histoire du silence" et d'une "Histoire de l'ignorance", ne se repose pas sur ses lauriers. Âgé de 86 ans aujourd'hui, il publie "Histoire du repos".

Matière à réflexion, matière romanesque, le repos s'infiltre dans les pages de nos romans. "Ce sont nos passions qui esquissent nos livres, le repos d'intervalle qui les écrit", disait Proust. Alphonse Allais, lui, déclarait: "Quand on ne travaillera plus les lendemains des jours de repos, la fatigue sera vaincue."

Mais de quel repos parle-t-on Alain Corbin? "A première vue, c'est très simple. Mais quand on l'étudie dans une perspective historique, on s'aperçoit que le sens du mot a été modifié".

Durant plus de 1000 ans, jusqu'à la Renaissance, les chrétiens visaient le repos éternel, le salut après la mort, le requiem - qui signifie repos - que l'on chante encore aujourd'hui lors des obsèques.

Alain Corbin

Montaigne, Pascal ou Bossuet, pour ce qui est de la littérature française, ont multiplié les pages sur le repos, mais pas avec le même sens, explique l'historien: "Pour Pascal, le contraire du repos, c'est l'agitation. Ce n'est pas la fatigue. C'est l'agitation de la Cour, de la ville, ne pas rester en repos chez soi parce que l'homme a peur de se retrouver en lui-même!". Plus tard, pour Montaigne ou encore La Bruyère, le repos arrive à un moment de la vie "où il faut se retirer. Le retrait était extrêmement important et a nourri une abondante littérature. Montaigne disait qu'il y a un âge où il faut léguer ses biens, si l’on en a, à ses enfants, en garder un peu et se forger un repos afin de ne pas faire n'importe quoi dans les derniers moments de sa vie".

La naissance de la fatigue

Repos, retrait... retraite! Sautons les siècles! Un enjeu majeur de nos sociétés, où l'âge de départ à la retraite fait l'objet de tensions constantes. Comment être en repos, face à l'injonction du "faire", face aux loisirs, comment arriver assez en forme pour bien se reposer, ou vivre une retraite active? "Vous en arrivez à la fatigue. Au XXe siècle, le repos est conçu comme un remède à la fatigue. C'est lié à la civilisation industrielle, au découpage du temps avec les trois-huit, ce que Charlie Chaplin a montré dans 'Les temps modernes'".

La fatigue naît vers la fin du 18e et dès l'école, à la fin du 19e, on met en garde face au surmenage, à l'explosion de la fatigue.

Alain Corbin

Alain Corbin ajoute: "Mais auparavant, il existe des interstices dans lesquels on trouve le repos. On a l'impression que le paysan du 17e cherchait à se reposer, ce n'est pas vrai. Il en avait horreur. Ce qui était caractéristique du milieu agricole, comme dans l'artisanat, c'est que les temps de repos étaient instillés dans l'activité. Par exemple, lorsque j'allais visiter des artisans avec mes grands-parents, ils arrêtaient de travailler, ils conversaient, puis reprenaient leur travail. On est loin de l'usine. Ce monde des 'savoir-faire' savait s'arrêter quand il fallait".

Le repos de l'âme disparaît

Rousseau écrit: "La paix et le repos que l'on trouve dans la nature, qui fait oublier les persécutions des hommes, leur haine, leur mépris". Le repos physique, présent dans la littérature contemporaine a-t-il éclipsé le repos de l'âme du champ littéraire? Alain Corbin acquiesce: "Nous pouvons évoquer la quiétude. Qui faisait se disputer les mystiques du 17e quant à son usage. C'est un mot que nous avons oublié. Nous n'utilisons plus que son contraire, l’inquiétude. La quiétude est douce, Rousseau cherchait la quiétude sur le lac de Bienne, allongé au fond de son bateau".

Le sommeil n'est pas un repos

Comment sait-on que l'on se repose? Alain Corbin cite Xavier de Maistre, auteur de "Voyage autour de ma chambre": "Le plaisir de se sentir sommeiller! C'est ce que l'on appelle l'hypnagogie, l'état de relaxation qui mène au sommeil. Mais attention, le sommeil n'est pas un repos. Vous aurez remarqué que dans les trois-huit, il y a huit heures de travail, huit heures de repos et huit heures de sommeil. Nous faisons bien la distinction entre repos et sommeil".

D'ailleurs, au cours du 18e siècle, l'apparition d'un nouveau mobilier qui s'adapte à une nonchalance ostensible, revendiquée, mettra le corps "en état de béatitude", souligne Alain Corbin. Ainsi, la "duchesse" permet de conserver la position assise et d'étendre ses jambes sur un socle en prolongement. "De l'invention du sofa, jusqu'au transat en passant par le rocking-chair et le hamac, il y a toute une série de meubles qui permettent de prendre un repos plus agréable et plus profond, sans être le sommeil".

Pierre Philippe Cadert/ld

Alain Corbin, "Histoire du repos", ed. Plon.

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