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Avec "Urbex", Nicolas Offenstadt explore l'archéologie secrète du monde industriel

Nicolas Offenstadt. [DR]
Entretien avec Nicolas Offenstadt, auteur de "Urbex" / QWERTZ / 28 min. / le 26 avril 2022
Dans un livre remarquablement documenté, l'historien Nicolas Offenstadt décrypte le phénomène de l'urbex, exploration urbaine clandestine de sites désaffectés.

Une usine abandonnée, peut-être même un site dangereux, caché derrière cette clôture rouillée envahie par les ronces. Vous n'avez qu'une envie, c'est bien sûr d'entrer illégalement (ou pas) dans cet endroit délaissé. Normal, vous pratiquez l'urbex, l'exploration urbaine.

Initié au milieu des années 1980, le mouvement connaît un engouement mondial. Les urbexeurs font l'objet de reportages, les réseaux sociaux et les sites d'hébergement de vidéos proposent de plus en plus de matériel lié à l'exploration urbaine. Urbexeur lui-même, historien, Nicolas Offenstadt décrypte ce mouvement dans son dernier ouvrage. A commencer par une définition simple: l'urbex consiste à visiter des lieux abandonnés. Il y a trois critères importants pour définir l'urbex explique Nicolas Offenstadt.

C'est une exploration qui sous-entend une visite approfondie. Si vous sautez un muret pour visiter un chantier pendant 5 minutes, ce n'est pas de l'urbex. Il faut s'approprier les lieux. Ensuite, les lieux doivent être délaissés, abandonnés. Et enfin, on ne demande pas d'autorisation de visite! Les explorateurs du 19e siècle cherchaient la reconnaissance, les urbexeurs cherchent à garder secrète leur activité.

Nicolas Offenstadt

Un immense enjeu patrimonial

L'historien français est aujourd'hui l'un des rares enseignants-chercheurs européens dont une partie des frais d'urbex est prise en charge par l'Institut d'Histoire Moderne et Contemporaine à Paris qui l'emploie, comme cela est courant aux Etats-Unis. On comprend mieux qu'il plaide pour un usage "raisonné, collectif et savant de la pratique".

L'urbex représente un immense enjeu patrimonial, raconte notre histoire récente et nous emmène dans des strates historiques auxquelles les historiens ne prêtent parfois que peu d'attention. "L'archéologue, parfois, doit investiguer donc détruire un site avant d'y collecter des objets intéressants, alors que l'urbexeur, normalement, doit laisser intacts les lieux visités. Leur point commun est la déambulation et ce regard extrêmement aigu et attentif porté sur les lieux".

>> A écouter, un entretien avec Nicolas Offenstadt, auteur de "Urbex" :

Nicolas Offenstadt. [DR]DR
Entretien avec Nicolas Offenstadt, auteur de "Urbex" / QWERTZ / 28 min. / le 26 avril 2022

Grâce aux réseaux, à la mise en ligne de photographies, l'urbex déclenche la parole, ravive des souvenirs, et contribue à enrichir la compréhension de notre histoire immédiate. Nicolas Offenstadt évoque un site consacré à un ancien hôpital psychiatrique londonien: "L'urbexeur avait posté ses photos de salles de soins, de bâtiments, ce qui a suscité des témoignages de soignants et de patients, l'envoi de documents, qui font de ce site une ressource qui en plus, créé des liens patrimoniaux et intellectuels entre les gens".

L'historien en urbex pourra aussi découvrir des archives laissées en l'état, comme dans cette usine de l'ex-RDA, quasiment abandonnée du jour au lendemain, dans laquelle il a pu entrer dans l'intimité des employées et employés de l'usine, dont les moindres faits et gestes étaient contrôlés et notés par le régime est-allemand.

Le frisson de l'interdit

De l'espionnage? De l'infiltration? De l'urbex? Entre les trois définitions subsiste le frisson de l'interdit, et Nicolas Offenstadt ne s'en cache pas, lui qui avoue "ne pas savoir qui de l'explorateur ou de l'historien domine en lui. L'un des moments les plus excitants de l'urbex, c'est lorsqu'on se demande si l'on va réussir à pénétrer dans les lieux. Ce n'est jamais simple et facile, certains sont gardés, certains sont barricadés, lorsque j'ai fait 300 kilomètres et que je ne sais pas si je vais entrer, et lorsque vous êtes dedans, le lieu est à vous, il est là, l'autre frisson! Et lorsque je trouve de la documentation qui me permet de cerner le site, l'historien reprend le dessus".

Et contrairement à ce qui a pu se dire aux Etats-Unis: "Il ne s'agit pas de bourgeois qui vont danser sur la mort de la classe ouvrière. Il y a aussi chez certains urbexeurs l'idée de sauver la mémoire locale. C'est le cas dans les régions désindustrialisées, où l'on rend sa dignité au lieux, en affirmant leur dimension esthétique, mémorielle et patrimoniale".

Pierre Philippe Cadert/ld

Nicolas Offenstadt, "Urbex, le phénomène de l’exploration urbaine décrypté", ed. Albin Michel.

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