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"Voyage au bout de l'enfance", le jeune cri du cœur de Rachid Benzine

L'auteur Rachid Benzine. [Hermance Triay]
Entretien avec Rachid Benzine, auteur de "Voyage au bout de l'enfance" / QWERTZ / 29 min. / le 27 janvier 2022
Dans "Voyage au bout de l’enfance", l’islamologue et écrivain Rachid Benzine se place à hauteur d’enfant pour décrire l’horreur du djihadisme et du terrorisme. Des mots forts et puissants, nimbés de poésie, qui lui permettent d’interroger la place du récit comme unique rempart à la barbarie.

Radicalisme, guerre, peur, humiliations, désillusions, djihadisme, extrémisme, enfance volée, poésie, raton laveur: c’est l’inventaire à la Prévert que nous propose Rachid Benzine dans "Voyage au bout de l'enfance", en s’attachant aux pas de Fabien, un petit garçon de sept ans, arraché à son quotidien pour suivre ses parents jusqu’en Syrie.

L’écrivain choisit de donner la parole à ceux qui n’ont rien demandé, aux victimes. Il emprunte les mots et le vécu de Fabien durant son voyage de quatre ans au bout de l’enfer.

Rachid Benzine a travaillé sur des enregistrements audios, les témoignages des enfants recueillis dans les camps. Il a discuté avec les mères, mais aussi avec les grands-parents restés en France, qui luttent pour le rapatriement. "Ces enfants sont doublement victimes: de leurs parents qui sont partis, mais aussi de l’Etat français qui ne souhaite par leur retour", indique-t-il à la RTS.

Une utopie religieuse et politique

Une interrogation parcourt le roman: quelle est l’utopie que notre société est capable de produire comme récit pour sortir de cet engrenage infernal? "Je pense que nous, les êtres humains, sommes des êtres narratifs, et nous sommes les histoires auxquelles nous adhérons."

Le récit proposé par Daesh promet de la reconnaissance, un sentiment d’appartenance, et de l’action. Pour Rachid Benzine, ce discours est très puissant, car il propose à la fois une utopie religieuse et politique, une utopie qui repose sur des rêves, des mythes.

Il y a quatre rêves: le rêve de l’unité du monde musulman; le rêve de la dignité par rapport au mépris et aux humiliations subies; le rêve de la pureté, avec cette idée de contamination, qui favorise la polarisation entre le nous et le eux; et le rêve du salut. Faute de donner un sens à sa vie, on cherche à donner un sens à sa mort.

Rachid Benzine

Une guerre des récits

L’écrivain est persuadé que nous vivons actuellement une guerre des récits. La bataille à gagner est celle des imaginaires. Fabien s’évade grâce à ses poèmes. D’autres s’accrochent à un mot, une pensée, une chanson. Le rêve façonne, les histoires aussi. "En se remémorant des paroles de vie, il y a de l’inédit qui survient." L’imaginaire permet de créer un espace de résistance, de création.

Il ne faut pas être uniquement défini par ses souffrances. Quelles que soient les souffrances que vous subissez, elles ne disent pas la totalité de votre être et c’est ça que viennent rappeler la littérature, la poésie, cette dimension artistique, pour voir le monde autrement, pour rouvrir le possible. Le monde ne s’arrête pas à ce que nous voyons.

Rachid Benzine

A travers les yeux de Fabien, et de tous les enfants victimes de la terreur, de la peur, de la guerre, des radicalismes des adultes, nous percevons cette espérance, celle de cheminer ensemble, de créer le lien commun. "Il n’y a pas lieu de désespérer. Mais la bataille qu’il faut est celle des récits. Parce que si c’est un récit exclusif qui finit par l’emporter, là ce sera véritablement une catastrophe."

Il n’y a pas qu’une seule manière de raconter la société contemporaine. Le tout est d’accepter l’imperfection. La littérature peut inverser la tendance, ouvrir le dialogue, éviter la polarisation. "Pour moi, c’est cette rhétorique du sensible au service du sens. C’est-à-dire que la littérature est le lieu de conversion d’un certain nombre d’images de soi, du monde, des autres et par cette conversion cela ouvre à l’être humain des capacités d’action infinies."

La force des mots

Rachid Benzine, dans ce bref roman passionnant à lire et à faire lire, invite à ne pas tomber dans la guerre des mémoires. Les fondamentalismes n’aiment pas la complexité. Il faut d’autant plus utiliser la force des mots, la puissance des récits pour reconfigurer le quotidien. "Ce qui est important dans un texte, c’est le monde qu’il ouvre, toujours incertain, toujours à redéfinir, à habiter autrement."

Le message de Fabien permet de réinterroger constamment les rêves qui nous ont, un jour, façonnés.

Catherine Fattebert/aq

Rachid Benzine, "Voyage au bout de l’enfance", éditions du Seuil.

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