Avec "L'Arche Titanic", Eric Chevillard entre au muséum
C’est un des écrivains les plus singuliers de l’époque. Depuis "Mourir m’enrhume" en 1987, Eric Chevillard a publié une quinzaine de romans aux Editions de Minuit, signé des textes littéraires multiformes chez divers éditeurs et a tenu durant des années un billet critique dans les pages du Monde des livres. Chevillard est également célèbre pour son blog, "L’autofictif", dans lequel il écrit chaque jour exactement trois courts fragments, et ce depuis des années.
Un drôle de virtuose
Virtuose, drôle, absurde, expérimental, poignant. En trente ans, ce grand styliste a élaboré un travail littéraire précis qui interroge le langage, joue sur les sons et les sens des mots. Toujours pleins d’autodérision, mettant ses narrateurs dans des situations cocasses, ses romans n’en sont pas moins très émouvants. Les derniers, "L’explosion de la tortue" et "Monotobio", par exemple, travaillent particulièrement des thématiques comme la perte, le deuil et l’oubli.
L’humour est un moyen d’encaisser les chocs, de ne pas être dupe de l’aventure à laquelle on est invité à participer malgré soi. C’est essayer aussi de faire entendre une autre manière de nommer le monde. N’oublions pas que la littérature est d'abord une expérience de la langue.
Écrire seul.e.s dans un musée
Le principe de la collection "Ma nuit au musée" des éditions Stock est de proposer à des auteurs de passer une nuit, seuls, enfermés dans le musée de leur choix. Cet étonnant défi est à l’origine de très beaux textes, tels celui de Lydie Salvayre, "Marcher jusqu’au soir", ou celui de Jakuta Alikavazovic, "Comme un ciel en nous", prix Médicis essai 2021. Comme si l’étrangeté de l’expérience libérait de sensations enfouies.
Ici, dans la salle des animaux disparus, Chevillard feint de rire, invente mille facéties, mais c’est la mort qui le convoque et ce livre est l’occasion de belles pages sur la catastrophe écologique qui pointe et avec elle l’anéantissement du monde. En érudit, Chevillard arpente les salles comme s’il se promenait dans une bibliothèque, savourant chaque nom d’animal, se remémorant les œuvres d’écrivains d’autrefois.
Quand un animal disparaît, son nom se vide à moitié de son sens – son sang –, n'est plus qu'un demi-mot: une momie. Ce qui me ramène à ma méditation des premières heures de la nuit: des mots disparaissent aussi, engloutis dans la même absence, vite oubliés. Comment pourtant en garder le souvenir?
Mais d’autres souvenirs se glissent dans cette nuit au musée. Un texte en italique, en apparence différent, se fraie parfois un chemin entre les pages. Eric Chevillard raconte ici autre chose, l’histoire étrange d’un matin où il se réveille dans la maison de ses grands-parents, celle des vacances et des parties de jeu avec les cousins. Et c’est magnifique.
Sylvie Tanette/sm
Eric Chevillard, "L’Arche Titanic", ed. Stock, collection "Ma nuit au musée".
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