Même adouci, Michel Houellebecq continue de diviser avec "anéantir"
Il n'est dans les rayons que depuis vendredi, mais tout le monde en parle depuis des jours, voire des semaines, une copie pirate ayant "fuité" sur internet peu avant Noël. "Anéantir", le nouveau roman de Michel Houellebecq, une longue fiction de 736 pages, divise les critiques et suscite une abondance de commentaires. Certains crient au chef-d'œuvre, d'autres à l'imposture.
Un Houellebecq presque apaisé
En sulfureux contemplateur de la décadence post-moderne, Houellebecq réunit dans "anéantir" des personnages aux prises avec la déshumanisation. Un senior délaissé dans une structure hospitalière à bout de ressources, un haut fonctionnaire las du jeu politique, des catholiques intégristes, des terroristes anonymes, mais aussi quelques professionnels - médecins, surtout - de bonne volonté.
Sans changer radicalement de propos, l'écrivain choisit d’autres armes pour dire la même chose, angoissante et terrible, à savoir que notre humanité se perd, dans tous les sens du terme. Cette nostalgie des valeurs perdues, de l'honneur et de la fidélité est une vieille rengaine chez Houellebecq, et dans "anéantir" il semble encore y croire… un tout petit peu.
Mais ici, l'auteur utilise la malice plutôt que le sarcasme, l’érotisme plutôt que le porno, l’admiration envers les hommes rares plutôt que le mépris pour les autres. Même si les élites, les représentants du pouvoir, les médias et les institutions en prennent pour leur grade, "anéantir" est un roman crépusculaire où l'ironie le dispute à une tendresse qui révèle un nouveau Houellebecq.
De là à dire qu’à 66 ans l'auteur est apaisé, adouci, voire optimiste, il y a un pas à ne pas franchir. Parce que l’anéantissement suggéré par le titre est évoqué plusieurs fois au fil des quatre intrigues nouées dans l'ouvrage.
>> Voir le sujet du 19h30 consacré à ce livre:
Un peu de lumière dans le couloir de la mort
Houellebecq reste Houellebecq et le contenu du livre n'est pas avare en remarques misogynes ou xénophobes et en piques contre la médiocrité culturelle et spirituelle contemporaine, des "propos nauséabonds distillés par petites touches, comme en mode mineur", pour les critiques de Mediapart.
D'autres, comme celui du Monde, lui ont trouvé beaucoup de finesse: "Les pages les plus poignantes de son roman sont celles où il parvient à faire surnager, au milieu de la solitude et de la déréliction, des gestes fugaces qui vous font pleurer".
Si L'Obs, les Inrocks et L'Humanité n'ont pas aimé du tout, les quotidiens Le Figaro et Libération sont tombés d'accord pour louer un récit abouti, tout comme le magazine Elle.
Pour Geneviève Bridel, critique littérature de la RTS, dans "anéantir", Michel Houellebecq "absorbe l’air du temps et distille une poésie légère" pour répéter, encore une fois, "qu’on vit dans le couloir de la mort. Sauf qu’il choisit de mettre un peu de lumière dans ce couloir".
Sujet radio: Geneviève Bridel
Adaptation web: sb avec afp et ats
Michel Houellebecq, "Anéantir", éd. Flammarion.