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Catherine Safonoff: "J’écris toujours le même livre"

Catherine Safonoff. [Tribune de Genève]
Entretien avec Catherine Safonoff, auteure de "Reconnaissances" aux éditions Zoé / QWERTZ / 48 min. / le 31 août 2021
Quatre ans après la parution d’un épais récit qu’elle annonçait comme son dernier livre, Catherine Safonoff publie chez Zoé "Reconnaissances". Un texte bref dans lequel l’auteure genevoise de 82 ans retrace son parcours d’écriture. Elle sera ce week-end au Livre sur les quais à Morges.

Par une journée pluvieuse de juillet, Catherine Safonoff, un peu déboussolée, reçoit pour la première fois dans son nouvel espace de vie. La vieille maison de Conches (GE) dans laquelle elle a vécu et écrit vingt-cinq ans durant a été vendue. Rapidement, il a fallu trouver un nouveau toit. C’est donc dans un hameau haut-savoyard situé non loin de la frontière genevoise que l’écrivaine a posé ses meubles et ses cartons. A proximité de l’une de ses filles.

"Mon précédent livre, 'La distance de fuite', était long et peut-être par moment ennuyeux, il ne s’est pas bien vendu au-delà d’un petit cercle de lecteurs, confie Catherine Safonoff. Avec 'Reconnaissances', j’ai fait l’inverse: un livre court, bref, contenant quelques passages un peu vifs. Une petite revanche envers moi-même."

Comme un merci à ceux qu'on a aimés

"Reconnaissances", un titre à entendre au pluriel, donc polysémique. Selon l’écrivaine, il s’agit avant tout d’une reconnaissance de dette envers les personnes aimées. Parmi elles, une grande amie grecque, poétesse et traductrice nommée Katerina, qui possédait une maison rouge sur l’île d’Egine. C’est là, pendant quelques mois d’un automne frileux, au tournant des années 1980, que Catherine Safonoff a jeté sur le papier l’ébauche de "Retour, retour", son deuxième récit.

Cet ancien automne à Egine, j’écris chaque jour dans les cahiers achetés au tabac-journaux du port. (…) J’écris vite, facilement. Je ne me relis pas, je n’ai jamais rien relu, sauf maintenant, debout, devant le secrétaire de mon père.

Catherine Safonoff, "Reconnaissances"

Entre dévoilement et dissimulation, "Reconnaissances" est aussi pour l’écrivaine une manière de recomposer son parcours de vie, en prenant appui sur la genèse de ses livres précédents, tous autobiographiques. Depuis son premier roman "La part d’Esmé" - récit d’une femme délaissant le foyer familial pour suivre son amant -, Catherine Safonoff apporte de nouvelles variations autour de thèmes qui lui sont familiers: le récit de soi, les liaisons passionnelles, le temps qui éloigne, la persistance de l’enfance. "J’écris toujours le même livre, en le poursuivant", affirme-t-elle avec lucidité.

L'expulsion du père

Au centre de "Reconnaissances", l’auteure évoque un moment fondateur de son adolescence, après la séparation de ses parents. Lorsque, pour éviter une énième altercation, elle met à la porte son père venu chercher quelques affaires militaires entreposées dans l’appartement. Premier acte de bravoure d’une jeune fille au caractère affirmé.

Petite, il m’épouvante, mais un jour, à quatorze ans, je le mets dehors, pour éviter une ultime scène parentale. Je fais ce que ma mère n’a pas fait. Et ce jour-là, mon père me reconnaît – et moi aussi, ce jour-là, je l’ai reconnu.

Catherine Safonoff, "Reconnaissances"

Bouleversantes et intenses sont aussi les lignes consacrées aux derniers instants de sa mère sur son lit de mort. Catherine Safonoff a 70 ans lorsqu’elle est au chevet de celle-ci, mutique. Elle glisse à l’oreille de la mourante quelques confidences, reconnaissant en elle la difficulté d’avoir été à la fois mère, épouse et amante. "Le conte vrai que je lui raconte, il n’y a que moi qui le sais", écrit-elle en se souvenant.

Assise par terre, j’ai continué à parler, c’est la dernière bande, chuchotée de bouche à oreille, et ma mère me pressait la main, nous pleurions, elle toujours les yeux clos.

Catherine Safonoff, "Reconnaissances"

Un nouveau départ

Aujourd’hui, dans son nouveau bureau-bibliothèque qu’elle n’a pas encore complètement investi, Catherine Safonoff a disposé le secrétaire de son père. Celui dans lequel, des décennies plus tôt, elle a rangé ses cahiers noirs, carnets de bord et fragments d’écriture autobiographique. Parmi eux, les cahiers grecs, partiellement détruits.

En fin d’entretien, l’auteure lâche cette phrase pleine de sens: "on peut avoir conscience de la mort et lui opposer une certaine résistance…" Alors pour résister, Catherine Safonoff se dit prête à reprendre son travail d’écriture. Dans ce lieu nouveau, encore méconnu. En quête de reconnaissance…

Jean-Marie Félix/mh

Catherine Safonoff, "Reconnaissances", Ed. Zoé.

Catherine Safonoff sera présente au Livre sur les Quais à Morges, qui se déroule du 3 au 5 septembre 2021.

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