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Avec "Mohican", Eric Fottorino ausculte les mutations agricoles

L'écrivain français Eric Fottorino en 2020.  [Francesca Mantovani  - Editions Gallimard]
Entretien avec Eric Fottorino, auteur de "Mohican" aux éditions Gallimard / QWERTZ / 36 min. / le 23 août 2021
Le journaliste et écrivain français Eric Fottorino publie une fresque romanesque célébrant de manière contrastée l’enracinement et l’identité paysanne. "Mohican" est un roman au souffle long qui s’impose parmi les centaines de nouveautés de la rentrée.

Eric Fottorino est non seulement un journaliste très actif dans les multiples publications qu’il a cofondées ("Le 1", "America", "Zadig", "Légende"), il est aussi un écrivain prolifique. En début d’année il présentait chez Gallimard un roman hanté par l’artiste serbe Marina Abramovic en pointant la résonance que le travail sans concession de cette pionnière du body-art pouvait avoir en temps de pandémie. Huit mois plus tard, l’écrivain propose chez le même éditeur "Mohican", une grande fresque paysanne qui soulève des questions ancrées au cœur de l’actualité.

"Ce roman vient de loin, j’ai commencé à l’écrire en 2015", confie d’emblée Eric Fottorino. Mais pour en trouver la véritable origine, il faut remonter encore plus loin. Lorsque le jeune journaliste de 25 ans, fraîchement engagé au quotidien Le Monde, se voyait confier la rubrique agricole. "Mohican" découle donc d’un intérêt précoce pour les modes de production dans les campagnes françaises et à travers le monde.

Mo voyait d’abord le beau là ou Brun voyait le rendement et l’argent pour rembourser les crédits.

Eric Fottorino, "Mohican"

Dans les vallons du Jura

Brun Danthôme et son fils Mo sont issus d’une longue lignée de paysans francs-comtois enracinés dans le domaine des Soulaillans. Tous deux exploitent une cinquantaine d’hectares recouverts de champs, de prairies et de vignes, lovés dans les paysages vallonnés du Jura. A 76 ans, Brun apprend qu’il souffre d’une leucémie, pathologie que son médecin attribue à l’usage intensif des intrants chimiques manipulés pendant des décennies sans précautions suffisantes. Mo, son fils de 36 ans, n’approuve pas les méthodes de son père et plaide pour une agriculture durable, respectueuse de l’environnement.

A travers ces deux personnages de fiction, Eric Fottorino évoque la controverse parfois violente qui oppose les partisans d’une agriculture intensive et ceux qui dénoncent les innombrables dérèglements dont elle est la cause. Une querelle qui soulève les passions en Suisse aussi: on se souvient des débordements qui ont précédé les votations du 13 juin dernier sur l’initiative "Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse".

Brun était né dans cette après-guerre remplie d’optimisme et de foi dans la technologie. Labourage et pâturage seraient à jamais les mamelles de l’Occident. La chimie tuerait les ennemis des cultures, comme les Alliés avaient eu raison des Nazis.

Eric Fottorino, "Mohican"

Tomber dans le piège des paysans

Brun, vieil agriculteur malade, est un personnage tragique. "Ce n’est pas qu’il a peur de mourir, mais il vit sa maladie comme une sanction envers tout ce à quoi il a cru jusque-là" affirme Eric Fottorino, avant d’ajouter: "Par ce roman, je voulais témoigner de ce piège dans lequel sont tombés de nombreux paysans". Piège du surendettement, de la mécanisation à outrance et de la dépendance à l’industrie chimique et agro-alimentaire.

Quelques mois avant de mourir, sans consulter son fils, Brun décide de céder à un promoteur une parcelle du domaine pour y construire plusieurs éoliennes. Décision lourde de conséquences qui sera la source d’un profond bouleversement aux Soulaillans.

Les éoliennes, c’est la dernière arme qu’ils ont trouvée pour nous éliminer, nous les paysans. Quand le béton aura éventré nos terres, quand nos paysages seront devenus des usines en mouvement, nous aurons disparu à jamais.

Eric Fottorino, "Mohican"

Entrer en résistance

Une fois son père disparu, Mo entre en résistance contre les injonctions de la modernité. Reclus aux confins du domaine, loin des nuisances du chantier, il deviendra le dernier à défendre la cause d’une terre ancestrale, habitée par l’esprit du lieu.

"Mohican" constitue non seulement le portrait sensible d’une paysannerie en crise, mais offre aussi de belles pages sur la relation père-fils et l’attachement viscéral à une terre transmise d’une génération à l’autre.

Jean-Marie Félix/mh

Eric Fottorino, "Mohican", éditions Gallimard

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