Le polar suisse existe et il s'exporte

Né à Lausanne en 1943, Michel Bory a été journaliste, réalisateur, voyageur tout en faisant aussi du cinéma indépendant. Il est l'auteur des enquêtes du commissaire vaudois Perrin qui est selon son éditeur l’"archétype du héros populaire".

Chaque enquête se déroule en 13 chapitres. En juin 2021, les 13 volumes des enquêtes de Perrin ont été éditées dans un seul ouvrage paru chez BSN.

Sa toute première enquête, "Le barbare et les jonquilles" (1995), prenait place dans la vieille ville de Lausanne. La dernière, publiée en 2016, "L'affaire du buste assassin" se déroule à Avenches. Entre-deux, le commissaire s'est baladé à Grandson, à Barboleuse ou à Moudon avec parfois quelques sorties en dehors du canton de Vaud.

Des enquêtes ancrées en terrain vaudois, dans des lieux décrits avec minutie et précision, sont la marque de fabrique des romans de Michel Bory. "Vu que mes lecteurs sont surtout en Suisse romande, je dois faire attention aux détails. Je ne peux pas faire d'erreurs sur les lieux", s'amuse l'écrivain qui n'hésite par à se rendre sur place. "Lorsque j'ai écrit l'enquête qui se passait à Moudon, j'allais faire mes paiements à la poste de Moudon, mes commissions à Moudon, des choses qui n'avaient rien à voir avec le roman. Je m'imprégnais du lieu."

>> A écouter, l'interview de Michel Bory :

© BCUL

A l'origine, le personnage de Perrin devait être traducteur, Michel Bory n'étant pas très attiré par la police. Mais après avoir rencontré plusieurs inspecteurs de la sûreté vaudoise, il a découvert un métier passionnant, loin des préjugés qu'il pouvait avoir.

Alexandre Perrin est donc devenu inspecteur puis commissaire. Il a du flair et de l'instinct. Il fait partie de cette génération d'enquêteurs qui font appel à leur cerveau, à leur nez et à leurs sensations plutôt qu'aux analyses de la police scientifique qui font souvent le succès des romans et séries policières actuelles.

Chimiste de formation, Marlène Charine sʹest lancée dans lʹécriture sur le tard. Quelques tâtonnements dans le genre fantastique et puis voici le succès avec son premier thriller addictif, "Tombent les anges", qui flirtait avec le paranormal.

Marlène Charine aime, dans le désordre, l'humour noir, quand ça saigne et les coups de fers à repasser. Cʹest le cas avec son deuxième roman "Inconditionnelles", publié chez Calmann-Levy en avril 2021.

Ce deuxième thriller débute au moment où trois fillettes kidnappées sont retrouvées et rendues à leurs familles. Le ravisseur ayant été abattu, l'affaire semble terminée. Mais petit à petit, les trois mères de famille et la capitaine de police réalisent que cette histoire n'est pas close. Avec en filigrane cette question: que mérite celui qui a brisé un enfant? Les notions de morale ont-elles encore cours lorsqu'il s'agit de venger son enfant?

>> A écouter, l'interview de Marlène Charine :

© Bruno Lévy

Cette histoire mûrissait dans l'esprit de Marlène Charine depuis une dizaine d'années: "Lorsque mon fils a commencé l'école, je voyais dans la cour d'école toutes ces mamans, très différentes les unes des autres. Et j'ai réalisé que la seule chose qui nous reliait, c'était notre amour inconditionnel pour nos enfants", explique la romancière à la RTS.

La Lausannoise née en 1976 ne fait pas partie des auteurs de polars que l'on surnomme parfois les architectes, ceux et celles qui élaborent très précisément le plan de leur roman avant de s'y atteler. "Je suis plutôt du côté des jardiniers. Je connais le début et la fin, ainsi que les principaux rebondissements, mais à part ça, j'aime planter des petites graines et voir comment ça va éclore".

Avec "Heresix", publié chez Slatkine, le procureur du Canton de Neuchâtel plonge ses lecteurs dans une enquête saignante au Sud de la France, qui commence par une procession d'hommes nus et mutilés avec un mot gravé sur le torse en lettres de sang: "HERESIX".

Ce 14e livre signé Nicolas Feuz n'est pas à mettre entre toutes les mains: pédophilie, échangisme et pratiques mafieuses y sont décrits avec précision. "J'ai toujours souhaité appeler un chat un chat et décrire certaines réalités", explique l'auteur.

Pour construire son scénario et donner de l'épaisseur à ses personnages, Nicolas Feuz s'inspire directement de ses contacts avec des policiers en France et des témoignages qu'il collecte. Il a notamment recueillis anonymement plusieurs récits de femmes ayant fréquenté le milieu échangiste, souvent à l'initiative de leur compagnon. Après une séparation ou un divorce, elles éprouvaient le besoin de se confier sur leur vécu.

>> A découvrir, l'interview de Nicolas Feuz :

© Olivier Rychner

L'homme de loi puise également certains détails de sa pratique de procureur, toujours de manière non reconnaissable.

Résolument contemporain, ce sixième récit publié chez Slatkine plonge ses racines à l'époque des cathares, entre le 12e et le 13e siècle. "Cette période, que l'on appelle aussi 'la croisade des albigeois', a marqué durablement toute la région de l'Hérault et plus largement l'Occitanie".

Lauréat du prix du public de la RTS en 2021 pour "La soustraction des possibles" publié aux éditions Finitude, Joseph Incardona est également scénariste.

"La soustraction des possibles" se déroule à Genève en 1989, période pendant laquelle les Français font passer des valises de francs français vers les banques suisses et genevoises. Dans ce contexte de la finance sans scrupule, Aldo, prof de tennis gigolo, rencontre Svetlana la banquière. Chaque jour, des millions de francs leur passent sous le nez, et ils veulent avoir leur part du gâteau.

Le duo va tout faire pour y parvenir, quitte à se mettre la mafia corse et d’autres personnages peu recommandables sur le dos. "Ces personnages sont un peu grotesques, prisonniers d’un rêve, d’un paradigme, d’un état d’esprit", explique l’auteur.

Pour Joseph Incardona, ce nouveau roman n'est pas vraiment un polar.

Je m'inscris plutôt dans le roman noir, ou le roman tragique. Je dirais que c’est plus une comédie de mœurs, une sorte de Bonnie and Clyde genevois.

Les personnages de Svetlana et Aldo sont en effet le reflet d’une époque frappée par les progrès du digital, une époque qui marque la fin d’un monde et le début de celui qu’on connaît aujourd’hui. Entre les banquiers sans scrupules et les mafieux qui font parfois preuve de plus d’honneur que leurs ennemis, difficile de distinguer les bons des méchants. Le roman brouille alors les repères du lecteur avec cette unique règle: seul l’argent compte.

>> A écouter, l'entretien avec Joseph Incardona :

DR - Sandrine Cellard

Autre particularité du livre, celle du narrateur, qui n’est autre que l’auteur lui-même. "J’interviens moi-même dans l’histoire, en tant que narrateur et en tant qu’écrivain. Il y a une histoire et une réflexion sur ce qu’est écrire un roman aujourd’hui. L'histoire a plusieurs interprétations possibles et elle est aussi une critique de l’ultra-consommation."