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Les mémoires de Susie Morgenstern, dix-huit exils et une passion intacte

L'autrice Susie Morgenstern. [Leextra/L'Iconoclaste - Céline Nieszawer]
Entretien avec Susie Morgenstern pour son récit autobiographique "Mes 18 exils" / QWERTZ / 25 min. / le 23 juin 2021
Susie Morgenstern a 76 ans et la verve exaltée d’une jeune fille. Dans "Mes 18 exils", la star de la littérature jeunesse fait un pas de côté pour dresser son autobiographie sous la forme d’un catalogue raisonné, mais jamais raisonnable.

Susie Morgenstern, ses lunettes fluorescentes, ses robes extravagantes et sa bibliographie record: avec quelque 150 titres publiés, la star des romans jeunesse n’avait plus rien à prouver. Une excellente raison pour se lancer, à 76 ans, dans un nouveau défi littéraire. Si elle qualifie "Mes 18 exils" de "texte de vieillesse", ces mémoires n’en demeurent pas moins une formidable ode à la réinvention de soi et aux détours du destin.

Dans la famille Hoch, il y a trois filles: Sandra la scandaleuse, Effie la boute-en-train et Susie l’intello. Déjà, sa différence détonne: écrasée par l’aura de ses deux aînées, la petite dernière, un peu trop ronde, un peu trop sage, brille en collectionnant les diplômes, lit en cachette pour ne pas se faire moquer et remplit ses journaux intimes sur un coin de table de cuisine.

Un livre-confession

A l’image des Hoch, beaucoup de familles juives ayant fui l’Europe et la Seconde Guerre mondiale se sont installées à Newark, cette ville du New Jersey qui est aussi celle où naquit Philip Roth.

Susie Morgenstern aurait pu y rester, épouser un membre de sa communauté, enseigner à l’école du coin, manger des hot-dogs toute sa vie. Mais à vingt ans, elle s’installe en France, par amour pour Jacques, un universitaire français rencontré en Israël. Leur histoire sera mouvementée.

On ne m’avait pas parlé des compromis nécessaires, de l’abnégation, de l’arrosage, du labourage, du désherbage pour planter et faire foisonner l’arbre d’Amour.

Extrait de "Mes 18 exils" de Susie Morgenstern

Cette grande traversée – géographique et sentimentale – est l’un des dix-huit exils qui, comme autant de chapitres dans ce livre-confession, vont façonner son existence plurielle. La maternité, le judaïsme, la maladie, le deuil, la féminité: avec une légèreté propre à son œuvre faussement naïve, Susie Morgenstern revisite ses héritages et ses révolutions intimes. Le ton est à la gratitude.

Un puzzle identitaire

Dans les épreuves (la mort précoce de son mari, le départ de ses enfants, le manque de repères culturels) comme dans les joies ordinaires (les amitiés indestructibles, la renaissance sexuelle à 60 ans), l’autrice de "La Sixième", de "Joker" et de "Confession d'une grosse patate" ne se départ jamais de son art de l’optimisme.

Je suis une exilée permanente, je vis en France mais je ne connais pas tous les codes, je suis non-conformiste, hors du jeu et assez marginale. (…) mais je suis ancrée par l’écriture, que je pratique tous les jours du matin au soir, y compris le dimanche et le samedi, sans arrêt, je suis une usine.

Susie Morgenstern
Couverture du livre "Mes 18 exils" de Susie Morgenstern. [L'Iconoclaste]

Le récit de ce puzzle identitaire, sans cesse bouleversé, enrichi et remis en jeu par le cours des évènements, est assemblé par un fil rouge qui a la couleur de l’encre et le charme sensuel du papier.

La littérature comme terrain de jeu

Certes, Susie Morgenstern est foutraque, nulle en cuisine et en paperasse, fait le yoyo sur la balance et se trompe souvent sur l’éducation de ses filles. Mais en littérature, elle est entière, constante et prolifique. Sa table de travail est un formidable terrain de jeu, son stylo est une béquille sur qui compter dans les moments de détresse et les livres de sa bibliothèque sont des amis qui ne meurent jamais.

Quoi qu’il en soit, dès que je suis à mon bureau, à écrire mes bêtises, je suis éternellement jeune. Cette activité que je pratique depuis mes sept ans ne voit pas le passage du temps, ne reconnaît pas mes rides, mon immobilité croissante, mes cheveux blancs, mon ventre, mes doigts de pied en marteau.

Extrait de "Mes 18 exils" de Susie Morgenstern

A lire Susie Morgenstern, c’est comme si ses "18 exils" n’avaient été vivables que parce qu’ils étaient arrimés à une seule et même patrie, un pays sans frontières où les langues cohabitent, où la ponctuation remplace le tic-tac des horloges et où la tranche d’un livre console même de la peur de la mort.

Salomé Kiner/aq

Susie Morgenstern, "Mes 18 exils", L’Iconoclaste.

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