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Charles-Pierre Baudelaire, ce vaillant bicentenaire

Charles Baudelaire (1821-1867). [AFP - ©Collection Roger-Viollet]
Entretien avec Daniel Maggetti et Alain Freudiger à propos de Baudelaire, à l'occasion du bicentenaire de sa naissance / QWERTZ / 44 min. / le 9 avril 2021
Ni tout à fait maudit, au contraire de Verlaine et Rimbaud, ni tout à fait admis à son époque parmi les lettres françaises, Baudelaire est ce créateur à part qui a affronté la modernité dans le sillage du romantisme. Une comète née à Paris le 9 avril 1821.

Bien que l’ensemble des écrits de Baudelaire remplissent près de deux mille pages, dans les domaines de la poésie, de la prose, de la critique littéraire et picturale où il excellait, l’œuvre de sa vie reste pour d’innombrables lecteurs, depuis leur première édition en 1857, "Les Fleurs du Mal". Dans sa version définitive et posthume, ces cent vingt-six poèmes ont bouleversé la poésie, ou, plus précisément, l’ont rendue plus moderne.

Sans doute la condamnation pour "outrage aux mœurs", l’année même de la parution, a bâti la légende sulfureuse du poète, honneur à rebours dont il se serait passé. D’autres y verront un esprit de vengeance et de raillerie dont le poète, dont on célèbre le bicentenaire, s’est réclamé en dandy excentrique, promenant dans Paris une brebis teinte en rose au bout d’une laisse.

"- O douleur! ô douleur! Le Temps mange la vie,
Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie! "

"L’Ennemi",  extrait des Fleurs du Mal

Sous le signe du Démon

Quel fut donc pour le poète cet ennemi implacable? Le temps? Ou plutôt, en spectateur des troubles de son époque, la destruction à l’œuvre? Chez Baudelaire, l’exacerbation romantique a été digérée au-delà de tout idéal, révolutionnaire chez Hugo, stoïque chez Vigny, passionnel chez Lamartine. Le mal était ailleurs, dans les gouffres de la conscience, au cœur de cette part sombre de la psyché qu’il a explorée en spéléologue des profondeurs.

Je me suis aperçu que, de tout temps, j’ai été obsédé par l’impossibilité de me rendre compte de certaines actions ou pensées soudaines de l’homme sans l’intervention d’une force méchante extérieure à lui.

Lettre à Gustave Flaubert, 26 juin 1860

Comme l’a souligné le critique genevois Marcel Raymond dans une préface aux œuvres complètes de Baudelaire, l’avènement de la révolution industrielle et du libéralisme a exilé le poète dans la marginalité, voire une destinée: "entre la poésie, nécessairement 'idéaliste', puisqu’elle arrache l’homme à ses activités immédiates, et cette société nouvelle, nécessairement activiste et utilitaire, les relations ne pourront reposer que sur le compromis ou le malentendu".

Le dandy provocateur

Dans l’inextricable pelote de ses contradictions, le mépris de son beau-père, le général Aupick haï pour lui avoir ravi, par son remariage, sa mère veuve quand il avait six ans, Baudelaire a ruminé toute sa vie son désenchantement de "veuf-amant" éternel de cette mère adorée. De sa névrose à ses exécrations contre la femme, la divinité, le goût bourgeois du siècle, Baudelaire s’est forgé une âme perdue et a lorgné dans ses prières vers Satan, une entité à la hauteur de sa… déchéance.

En somme, je crois que ma vie a été damnée dès le commencement, et qu’elle l’est pour toujours.

Lettre à sa mère, 4 décembre 1854

Mais aux gouffres intimes s’est consolidée en lui une perception très fine des enjeux artistiques de l’époque, après qu’il a cru épouser les élans de la Révolution de 1848. "Je veux dire que l’art moderne a une tendance essentiellement démoniaque." Cette référence au Démon est d’essence romantique, faite de révolte et du sentiment métaphysique d’être "mal au monde". Dans l’incomplétude de l’homme moderne, le ver ne cesse de ronger le fruit. Ses nerfs furent aussi rongés par la syphilis, contractée dès son adolescence, dont il est mort, dans les bras de sa mère, le 31 août 1867.

Le paradoxe chez Baudelaire, c’est qu’il a élaboré une œuvre novatrice par ses thèmes dans le creuset de la forme classique, sonnets impeccablement versifiés, ouverts sur le vertige du désir, du cauchemar, du rêve sublimé par les drogues, de la chute, de la putréfaction et de la mort: "Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons/ Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes."

Christian Ciocca/mh

A lire: Marie-Christine Natta, "Baudelaire", Tempus, rééd. 2021.

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