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Un livre raconte Maria Casarès, l'ardente qui brûlait les planches

L'écrivaine Anne Plantagenet est l'auteure de "L’unique", une biographie sur Maria Casarès.
Patrice Normand/Leemage 
AFP [Patrice Normand/Leemage]
L'invitée : Anne Plantagenet, "l'Unique" biographie de Maria Casarès / Vertigo / 32 min. / le 8 mars 2021
Elle a "le génie de la vie" disait d'elle Albert Camus. Née en Galice, Maria Casarès fuit Franco en 1936 et arrive à Paris sans parler un mot de français. Six ans plus tard, elle est la plus grande actrice de l'Hexagone. Un livre, "L'Unique. Maria Casarès", retrace son parcours.

Le prologue est fracassant. "L'Unique. Maria Casarès", d'Anne Plantagenet, s'ouvre sur l'accident de voiture d'Albert Camus, le 4 janvier 1960. Maria Casarès a 37 ans. Ce jour-là, la comédienne a perdu l'homme qu'elle aimait passionnément et avec lequel elle a entretenu une correspondance sublime pendant quinze ans, soit 865 lettres échangées. Une correspondance publiée en 2017 chez Gallimard.

Pour Camus, Maria Casarès était à la fois son "Finistère", sa "brune", sa "désirable", son "équilibre", son "éclatante" et son "Unique", d'où le titre de cette biographique qui se lit comme un roman.

Actrice un peu oubliée

L'auteure a choisi cette ouverture pour sa portée dramatique bien sûr, mais aussi parce que la date du 4 janvier 1960 correspond exactement à la moitié de la vie de son héroïne, Maria Casarès, femme d'honneur au rire tapageur, Espagnole exilée en France en 1936, amoureuse ardente, tragédienne mythique. "Ce début dramatique me permettait de la situer dans le temps et de dire ce que Maria Casarès avait déjà accompli à celles et ceux qui ne la connaîtraient plus", dit Anne Plantagenet, auteure d'une dizaine de romans et traductrice de l'espagnol.

Car il n'existe quasiment pas de captations des quelque 120 pièces qu'elle a jouées. Heureusement, il y a le cinéma. Même si elle a peu tourné - elle a toujours préféré les planches à la caméra -, certains films restent mémorables, comme "Les Enfants du Paradis" de Marcel Carné, "Les Dames du bois de Boulogne" de Robert Bresson et "Orphée" de Cocteau.

Apprendre le français

Maria Casarès, c'est d'abord une voix, profonde, lyrique, intimidante, à la diction impeccable. Mais une voix un peu démodée pour une oreille contemporaine comme si la comédienne, pour faire oublier qu'elle n'était pas de langue maternelle française, l'avait un peu trop sacralisée.

On entend dans sa voix le reste de l'Espagne, la passion, la ténacité, la volonté, l'énergie. Mais je l'ai aussi beaucoup écoutée à l'écrit, dans ses lettres adressées à Camus.

Anne Plantagenet, auteure de "L'Unique"

Née le 21 novembre 1922 en Galice, dans le nord de l'Espagne, Maria Casarès n'était pas une enfant désirée: "Quand mes parents m'ont eue, ce fut par distraction ou par maladresse", disait-elle de son rire de gorge. Néanmoins, elle fut choyée et conservera de son enfance un souvenir lumineux. En 1931, elle vit un premier exil quand ses parents déménagent à Madrid, où on lui reproche son accent galicien.

En 1936, son père, devenu Premier ministre de la Seconde République espagnole, est contraint de démissionner lors du coup d'Etat de Franco. La famille quitte l'Espagne pour Paris. Maria ne parle pas un mot de français. Elle a 14 ans. Six ans plus tard, elle fera ses débuts sur les planches et son succès sera immédiat.

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Maria Casarès, actrice française d'origine espagnole. [Roger-Viollet via AFP - Gaston Paris]
Maria Casarès, actrice française d'origine espagnole. [Roger-Viollet via AFP - Gaston Paris]

Comment est-ce possible? Par une volonté de fer. La gamine multiplie les cours et les formations pour parler un français impeccable. Elle sera pourtant refusée une première fois au Conservatoire. "Trop barbare", disent ses juges. "A cette époque, les accents étrangers étaient malvenus", explique Anne Plantagenet. Elle passera le concours la seconde fois et se fait immédiatement engager au théâtre des Mathurins.

De 1952 à 1954, pensionnaire de la Comédie-Française, elle joue le répertoire puis intègre le Théâtre national populaire (TNP) de Jean Vilar (1954-1959). Elle devient ainsi l'une des premières comédiennes à donner au Festival d'Avignon ses lettres de noblesse.

Sa maison devient résidence d'artistes

Après la mort de Camus, Maria Casarès continue de jouer. Beaucoup. Elle participe à plusieurs créations du théâtre contemporain, comme "Les Paravants" de Genet qui fait scandale en 1966 ou "Quai Ouest" de Koltès en 1986. "Maria était une femme très courageuse. Elle a toujours voulu sortir de ses zones de confort malgré un trac immense et des maux de ventre qui la paralysaient avant d'entrer en scène".

Je traîne avec moi une vieille nostalgie qui crie de plus en plus fort à mesure que les années coulent et qu’elle assiste, impuissante, à mon destin d’éternelle exilée. Prendre racine, trouver une patrie et m’y attacher jusqu’à la fin, voilà mon profond souhait.

Lettre de Maria Casarès à Albert Camus, le 30 août 1950.

En 1961, peu après la mort de Camus, celle qui n'avait jamais vraiment posé ses bagages achète une maison dans le Limousin, à Alloue. Le paysage verdoyant lui rappelle sa Galice natale. A  sa mort, le 22 novembre 1996, pour remercier la France d'avoir été une terre d'asile, Maria Casarès léguera son domaine à la commune. "La maison de Maria Casarès" devient alors une résidence pour comédiens, un centre culturel où se déroule chaque été un festival en plein air.

Propos recueillis par Anne-Laure Ganac

Adaptation web: Marie-Claude Martin

Anne Plantagenet, "L'Unique. Maria Casarès", éditions Stock.

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