Dans "Port franc", sa quatrième fiction publiée comme les précédentes au Mercure de France, l'ancien galeriste Manuel Benguigui s'amuse à suivre entre Genève, Lucerne, Paris et New York son personnage principal, Seymour. Un quadragénaire flegmatique, lent et rêveur, qui accepte une mission commanditée par un marchand d'art international, Gordji, aux méthodes peu orthodoxes. Notamment, l'escroquerie qui lui permet d'authentifier de faux tableaux de grands artistes en soudoyant des experts alléchés comme tout le monde par de l'argent sonnant et trébuchant.
Ce système permet d'ajouter aux œuvres attestées d'autres pièces, fausses celles-là, qui en acquièrent une légitimité. La mention, l'illustration et la traçabilité consignées dans ce qui constitue la Bible de l'artiste font foi. Tout le monde se prosterne devant la sainte écriture, en souriant on se signe avant de signer les ordres de virement.
Les coulisses de l'art
Dans le monde parfois interlope du marché de l'art, les collectionneurs rivalisent sans le savoir avec de véritables réseaux mafieux, prêts à tout, meurtre compris, pour s'approprier des millions par enchères interposées. Une famille richissime, les Wittgenstein, ont cédé des dizaines de toiles de maîtres impressionnistes ou des avant-gardes à un marchand peu scrupuleux, Gordji, lequel confie à Seymour, amateur mais non expert, le soin de les acquérir lors d'une vente avec commissaire-priseur. Les trésors protégés dans une des salles du Port franc genevois devraient permettre au nouvel acquéreur de se refaire, ou d'être défait par plus malin que lui.
Il existe peu de ports francs. Ils n'ont le plus souvent aucun accès à la mer et ont conservé leur appellation d'une époque ancienne où les plus grandes places commerciales du monde étaient forcément au bord de l'eau, et parfois exonéraient de taxes les marchandises des riches étrangers pour les attirer.
Le monde n'est qu'un théâtre
Dans son intrigue romanesque menée tambour battant, sans fioriture de style et d'une écriture "blanche", Manuel Benguigui s'appuie sur le monde de l'art pour révéler la cupidité contemporaine. Le vrai le dispute bien évidemment au faux, l'honnêteté à l'envie, également partagée par tous les personnages égarés dans une pièce dont ils et elles cherchent à apprendre le texte au fur et à mesure de leurs interventions, leurs initiatives plus ou moins malheureuses. Et si à la fin, seul l'art, triomphant des enchères qui le corrompent, s'en sortait vainqueur?
Christian Ciocca/ld
Manuel Benguigui, "Port franc", Mercure de France, 2021.
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