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De l'effondrement à l'explosion: Beyrouth, six mois après

L'écrivain libanais Charif Majdalani à Paris le 13 septembre 2017. [AFP - JOEL SAGET]
Entretien avec Charif Majdalani et Marco Costantini, six mois après l'explosion qui a ravagé Beyrouth / QWERTZ / 47 min. / le 2 février 2021
Relatée dans "Beyrouth 2020 - Journal d'un effondrement", la déliquescence du système politique libanais et l'explosion du 4 août dernier ont porté un coup fatal aux espoirs des artistes beyrouthins. Le romancier Charif Majdalani analyse les conséquences du drame.

C'est d'abord un tremblement, accompagné "d'une sorte d’affreux rugissement". Puis l'explosion, et cette bande-son cataclysmique qui précède la vision du sang, des blessés et des décombres. C'est ainsi, dans la confusion des sens et des affects, que Charif Majdalani décrit l'impensable: l'explosion, le 4 août 2020 au soir, d'un entrepôt du port de Beyrouth, soufflant la moitié des quartiers de la ville.

Dans son récit autobiographique "Beyrouth 2020 - Journal d'un effondrement", paru en septembre et salué par un prix spécial du Femina 2020, le romancier libanais brosse le portrait d'un pays désagrégé par des décennies de politique clientéliste. Une déliquescence lente et implacable, à laquelle l'explosion meurtrière du 4 août n'a fait qu'adjoindre un spectaculaire et sinistre bouquet final.

Pendant une dizaine de jours, je n’ai plus écrit, je ne savais pas si je pourrais recommencer à écrire. Tout ce que j’avais raconté jusque-là me semblait projeté d’un seul coup dans un monde beaucoup plus ancien, qui nous paraissait presque béni à ce moment-là.

Charif Majdalani

La légendaire résilience des Libanais

Six mois plus tard, le bilan est accablant. Dans un entretien réalisé en collaboration avec la Maison de Rousseau et de la Littérature de Genève, Charif Majdalani rappelle combien la légendaire résilience des Libanais doit beaucoup à la créativité et l'énergie de ses scènes artistiques, "contrepoint à la calamité de la classe politique".

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Ce vivier remarquable, ce poumon vital, l'explosion du 4 août l’a frappé de plein fouet: les quartiers de Mar Mikhael et Gemmayzé, pôles créatifs de la ville, paient aujourd'hui le plus lourd tribut de cette catastrophe. "La ville se redresse mais c'est très difficile, à cause de la crise économique. Une fois encore, les gens s'organisent avec la rage du désespoir, avant que des rapaces ne se précipitent pour acheter les maisons abandonnées et construire des horreurs à la place. Avec cette différence que, aujourd'hui ce qui domine, c'est un sentiment de désillusion, l'idée d'un avenir bouché".

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Des conditions de travail qui se péjorent

Directeur adjoint du Mudac de Lausanne et fin connaisseur de la scène artistique du Liban, Marco Costantini prépare depuis plusieurs années une exposition consacrée au design libanais. Un univers de création dont il découvre, voyage après voyage, l'incroyable richesse et le profond enracinement dans une tradition spécifique comprenant l'architecture et le mobilier.

En quelques années, l'historien d'art a pu observer la dégradation régulière des conditions de travail des artistes locaux. "On les conditionne à partir, à aller voir ailleurs. Tout est fait pour les décourager, alors qu'il y a tant de choses à faire au pays. Ils sont toujours en tension: la plupart souhaite rester, tous les artistes disent combien Beyrouth les motive, combien cette ville est le moteur de leur inspiration, l'essence même de leur travail".

Après l'explosion, comment retrouver cet élan? "La reconstruction, notamment des bâtiments du patrimoine, se passe extrêmement rapidement, admire Marco Costantini, un signe puissant adressé aux politiques: même si vous n'êtes pas à la hauteur, nous allons vous montrer que cette ville, on l'aime, on la veut, et on va la faire revivre, coûte que coûte".

Nicolas Julliard/mh

Charif Majdalani, "Beyrouth 2020 - Journal d’un effondrement", éditions Actes Sud.

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