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"Térébenthine", l'envers du décor de l'art contemporain

Carole Fives plonge le lecteur dans le monde d'une école des Beaux-Arts de province (photo d'illustration). [Depositphotos]
Entretien avec Carole Fives, auteure de "Térébenthine" / QWERTZ / 15 min. / le 24 novembre 2020
Avec son roman "Térébenthine", Carole Fives plonge le lecteur dans le monde d'une école des Beaux-Arts de province. Cela se passe dans les années 2000, au moment où la peinture est décriée et ses adeptes méprisés. Tout comme le sont les femmes artistes.

Dès la première année, ils ont été surnommés les "Térébenthines". Parce qu'ils aimaient la peinture plus que tout et parce que les autres étudiants de cette école des Beaux-Arts de Lille jugeaient, avec mépris, la technique et ses adeptes. Aux yeux de la majorité de ces apprentis, les pinceaux, les pots de couleur et la térébenthine sont coupables d'être dépassés et d'un ennui mortel.

On est en France, au début des années 2000. Et il y a vingt ans, le monde de l'art contemporain proclamait haut et fort la mort de la peinture. Au profit des techniques nouvelles: la vidéo, la performance et les installations.

"Vous êtes à côté"

Mais la narratrice (dont on ne saura jamais le prénom) et ses deux meilleurs amis, Luc et Lucie, n'en démordent pas. Ils subissent l'opprobre général sans le comprendre, surtout quand celui-ci vient de la part des plus éminents professeurs de l'école. Le trio décide de s'installer dans les sous-sols de l'institution pour peindre à loisir, pour avoir la paix et pour apprendre aussi - par eux-mêmes puisqu'on refuse de la leur enseigner - la technique du dessin. "Vous êtes à côté, complètement à côté", lance un jour, en plein cours, la professeure Vera Mornay à la narratrice qui ose enfin lui montrer son travail.

Les trois jeunes gens, qui se rapprochent un peu plus chaque jour et se soutiennent, réussissent pour un temps à faire fi de la mode, ces cycles qui se succèdent sans autre raison que le désir collectif de coller à l'air du temps. Mais résister au culte de la nouveauté n'est pas chose aisée. Surtout quand on a vingt ans et surtout dans le monde de l'art.

Dans son roman "Térébenthine", Carole Fives dépeint, non sans malice, les contradictions, la vanité et la cruauté du monde de l'art et des écoles de formation. Sa misogynie aussi. Dans le livre, aucun professeur ne prend la peine de consacrer un cours au travail d'une femme artiste, comme si le talent avait un sexe et un genre. "85% des nus exposés au Louvre sont féminins, mais moins de 5% des artistes exposés sont des femmes", s'indigne une élève.

Des noms d'artistes femmes

Alors, comme pour rétablir un équilibre, Carole Fives fait courir sur plusieurs pages une liste de noms d'artistes femmes qui ont marqué l'histoire de l'art, mais qui longtemps n'ont pas été retenues par les livres. Pour le plus grand bonheur de Lucie et de la narratrice.

Le monde de l'art contemporain, Carole Fives le connaît parfaitement, et de l'intérieur puisqu'elle a débuté dans ce domaine-là avant de glisser vers la littérature. "Ainsi va le marché de l'art, broyant les uns et portant les autres aux nues", confirme un article que la narratrice lit dans le premier chapitre du livre. Et tout est dit. Parce qu'on comprend, au fil des pages de ce roman qui se lit très facilement et presque comme un roman policier, que la fougue des débuts dont fait preuve le trio, va petit à petit laisser la place au vide et à la tristesse.

Lucie finira par quitter la pratique artistique pour passer du côté de l'enseignement. La narratrice luttera plus longtemps, avant de bifurquer vers l'écriture (comme l'auteure!). Et Luc, lui, aura à la fois un destin plus funeste et plus brillant, sur lequel il convient ici de laisser planer le mystère.

Linn Levy/mh

Carole Fives, "Térébenthine", éditions Gallimard.

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