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Andréas Becker, l'auteur qui aime "castratouiller" la langue

Andreas Becker. [DR - Franck Roncière]
Entretien avec Andreas Becker, auteur de "La Castration" / QWERTZ / 36 min. / le 4 novembre 2020
Dans son quatrième roman "La Castration", publié comme les précédents aux éditions d'En bas à Lausanne, Andréas Becker lâche dans le milieu interlope de la Gare du Nord à Paris un tueur en série et sa langue singulière, véritable bombe narrative.

Depuis son premier récit "L'Effrayable" aux éditions de la Différence en 2012, réédité aux éditions d'En bas, Andréas Becker a opté pour une écriture très personnelle, à la fois archaïque et novatrice, à nulle autre pareille. On songe à du français médiéval par la musicalité étrange des mots hybridés, anagrammés ou triturés. Langue comme traduite du parler mental de l'auteur qui avoue tracer des mots sur la page blanche dans un geste hypnotique et jaculatoire, à la limite de l'illisibilité. Une langue que cet Allemand du Nord a apprise en venant à Paris en 1990.

L'enfer selon Jérôme Bosch

Comme Becker, mais l'analogie s'arrête là, le protagoniste de "La Castration" débarque à la toute fin des années 1980 Gare du Nord à Paris, sur le coup de 5 heures 30, comme dans la chanson de Dutronc. Mais son refrain à lui est beaucoup plus grinçant et va verser dans une rengaine sanglante. Abusé par son grand frère violeur, au sein d'une famille ordinaire de Hambourg, il ne possède plus que sa haine pour concevoir un plan vengeur: castrer réellement de vieux messieurs qui ont payé ses charmes de prostitué.

Les images soulevées par ce récit halluciné orientent le lecteur dans les abysses des enfers à la Jérôme Bosch, corps monstrueux torturés par des démons. On pense aussi, par les petites touches d'humour, aux bas-fonds du Paris de la fin du XIXe siècle et ses personnages miséreux, bouge de la criminalité des ruelles mal éclairées.

"Je finissituderai devant les galances ébrouchées de mes doutes.
J'achevasserai toujours castré cette vie-là devant ces galances-là.
Je recracherai une vie du Doetcheland.
J'abruptirai toujours castré ma vie".

Extrait de "La Castration" d'Andréas Becker

L'imparfait du subjonctif "mascoulain"

Meurtri au profond de son mal-être par les abus sexuels, le petit-frère universalise sa haine et la déverse comme en extase en "arrachamâchant" dix-sept "phallustes", par cette bouche même qui vocifère. La plongée romanesque dans le noir et le rouge, l'obscurité de la pulsion meurtrière et le sang des victimes, exacerbent les paradoxes entre nature et culture, travail et criminalité, sexualité et moralité, sauvagerie et urbanité. Tensions irréconciliables dans le champ de ruine de notre psychologie des profondeurs. Ce qui est ici dénoncé avec fureur représente l'horreur de la domination "mascouline" [sic], les mâles toujours au bord de leur propre émasculation, aux mots castrés et impuissants, pour le coup, à attendrir le monde.

"Je n'ai été qu'une erreur, une légende et quelques mentirages de trop".

Extrait de "La Castration" d'Andréas Becker

L'écrivain n'est pas sociologue

Dans l'invention de sa langue, Andréas Becker fait acte de courage au sein de la francophonie. Et s'il écrit aussi avec sa part de féminité, il rend bruissantes, stridentes les aspérités du langage, les pousse dans leurs impasses, à contre-jour et dans la violence de la nomination. Aux antipodes d'une littérature sociologique, explicative ou justificatrice, "La Castration" s'attaque au plus charnel du textuel, jumeau du sexuel, dans une jouissance contradictoire: se libérer de la castration en se castrant symboliquement par les mots tranchants de la vie.

Christian Ciocca/ld

Andréas Becker, "La Castration", éditions d'En bas, Lausanne, 2020.

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