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"Sous le ciel des hommes", le capitalisme à l'épreuve de la fiction

Diane Meur. [Marco Castro - Ed. Sabine Wespieser]
Entretien avec Diane Meur, autrice de "Sous le ciel des hommes", paru aux éditions Sabine Wespieser / QWERTZ / 39 min. / le 3 novembre 2020
Inventant une contrée imaginaire, le nouveau roman de l'autrice belge Diane Meur, "Sous le ciel des hommes", dresse le portrait du système néolibéral à travers une galerie de personnages aux destinées imbriquées.

"La ville dormait." C'est par ces mots, comme dérivés d'une chanson de Jacques Brel, que s'ouvre "Sous le ciel des hommes", nouveau roman de l'autrice belge Diane Meur. Cette ville à la torpeur trompeuse porte le nom de Landvil, agglomération fantôme d'un pays imaginaire, micro-état calfeutré au centre de l'Europe: le grand-duché d'Eponne. C'est là, sous le ciel bas d'un dimanche de novembre, que la romancière fait entrer ses personnages, comme autant d'acteurs d'un drame aux ressorts familiers.

Le monde sous une loupe

Car ce microcosme fictif, disposé à l'observation comme les organismes d'une boîte de Petri, c'est notre monde contemporain. Un monde enserré par le système capitaliste dans lequel tous les êtres, de quelque extraction soient-ils, se retrouvent en exil.

Tous un peu en exil? Sans doute. Il ne peut pas en être autrement dans un monde où l'homme est obsolète, un monde qui n'a jamais été aussi peu fait pour lui.

Extrait de "Sous le ciel des hommes" de Diane Meur

Dans ce paradis fiscal froid comme un guichet de banque, la présence de réfugiés suscite la méfiance ou l'opportunisme. Journaliste à succès, séducteur proverbial, Jean-Marc Féron, pressé par son éditeur, consent à tenter la cohabitation avec un migrant dans le but d'en tirer un livre. Mais le projet patine et le héros médiatique s'effondre, incapable de supporter la passivité de son rôle d'observateur patenté.

Un pamphlet anticapitaliste

Dans le même temps, issus des quatre coins du grand-duché, une poignée d'intellectuels et de militants se réunissent autour de la rédaction d'un pamphlet anticapitaliste. Au fil du récit, tandis que le projet d'écriture égocentrique se délite et qu'un autre, collectif, se construit, Diane Meur tisse avec une grande subtilité tout un réseau de correspondances, d'accointances et de gémellités entre ses personnages aux parcours a priori dissociés.

Mais ôtons-nous de l'idée que certains, là-haut, savent ce qu'ils font et nous mènent quelque part, à défaut de nous vouloir du bien. Un système pervers n'obéit à nulle finalité claire, hormis sa propre perpétuation.

Extrait de "Sous le ciel des hommes" de Diane Meur

Comme les eaux du lac et du fleuve qui irriguent les rives de ce pays de carton-pâte, la narration s'écoule ainsi en de multiples petits canaux dont le lecteur recompose progressivement le maillage complexe. Un tour de force romanesque, évitant par le raffinement de ses entrelacs les écueils du roman à programme.

Engagé, "Sous le ciel des hommes" l'est assurément, par les questions fondamentales qu'il soulève, par l'humanité généreuse vers laquelle tend la trajectoire de la plupart de ses protagonistes. Au gré de ses intrigues imbriquées, ses tranches de vie aux concordances troublantes, Diane Meur invite à célébrer l'esprit du collectif, à se faire les acteurs frondeurs de ce théâtre global érigé sur notre passivité. Sous le ciel des hommes, nul homme n'est une île.

Nicolas Julliard/ld

Diane Meur, "Sous le ciel des hommes", Ed. Sabine Wespieser.

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