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Le racisme d'une maison de correction raconté par Colson Whitehead

L'écrivain afro-américain Colson Whitehead. [Leemage via AFP - Mollona]
L'écrivain afro-américain Colson Whitehead. - [Leemage via AFP - Mollona]
Lauréat du Prix Pulitzer pour la seconde fois, l’Américain Colson Whitehead confirme dans "Nickel Boys" l’impunité dont jouissent les auteurs de discriminations raciales dans son pays. Accablant.

C’était un véritable camp de détention pour mineurs: jusqu’à sa fermeture en 2011 (pour de prétendues raisons économiques), la Dozier School a maltraité et même battu à mort des délinquants entre 6 et 18 ans, avec l’accord tacite des autorités de la Floride du Sud.

Des fouilles sur le terrain de l'école ont mis au jour les restes humains de plus de 80 jeunes gens. Le scandale a éclaté en 2014, alors que la mort de Michael Brown, abattu par un policier d'une balle dans le dos, soulevait la population de Ferguson.

La colère et l’espoir

La version française du livre de Colson Whitehead est sortie fin août 2020, trois mois après la mort de Georges Floyd. Cette continuité des violences faites aux Noirs n’étonne pas le traducteur de "Nickel Boys", Charles Recoursé. Interrogé par la RTS, il s’indigne de leur situation aux États-Unis, mais rappelle aussi les victoires remportées pour l’égalité par rapport aux années 60 évoquées par l’auteur. Le roman se conclut sur l’une d’elles, minuscule signe d’espoir dans ces pages brûlantes de colère.

>> A écouter, un entretien avec Charles Recoursé, traducteur de "Nickel Boys" :

La couverture du livre "Nickel Boys" de Colson Whitehead. [Albin Michel]Albin Michel
Entretien avec Charles Recoursé, traducteur de "Nickel Boys" de Colson Whitehead / QWERTZ / 23 min. / le 24 septembre 2020

Certes, la maison de correction a fermé ses portes, mais les responsables des faits n’ont pas été poursuivis; quant aux rescapés qui ont témoigné, ils sont Blancs. Normal, donc, que Colson Whitehead donne la parole à un héros noir dans son roman.

En gardant la tête basse, en veillant à éviter les faux pas, il se laissait croire qu’il était le plus fort. En réalité, il n’était plus que l’ombre de lui-même.

Extrait de "Nickel Boys" de Colson Whithead

L’arbitraire et la peur

Elwood Curtis est un bon garçon, élevé par sa grand-mère selon des principes stricts et convaincu qu’en faisant preuve de dignité et de mérite, les Noirs verront leurs droits respectés. Dès son arrivée à la Nickel School suite à une erreur judiciaire, il défend ces valeurs, ce qui lui vaudra de passer dans ce que l’on appelle "la Maison Blanche", sinistre bâtiment où on fouettait les jeunes parfois à mort.

Impossible de lire "Nickel Boys" sans penser aux camps nazis: la gratuité des châtiments, l’imprévisibilité des sévices, les irruptions nocturnes des surveillants dans les dortoirs pour emmener leur proie au "Salon du viol" rappellent cette progressive déshumanisation du détenu souvent évoquée par les survivants de la Shoah.

Naturellement, tous n’étaient pas des génies, mais ils avaient été privés du simple plaisir d’êtres ordinaires.

Extrait de "Nickel Boys" de Colson Whithead

La concision et l’émotion

Ni pathos ni théorie dans "Nickel Boys": Colson Whitehead déjoue brillamment les pièges du roman à thèse. Ses héros sont tous éminemment incarnés, surtout Elwood Curtis – émouvant d’idéalisme dans sa jeunesse, parfois drôle, plus tard, dans le regard qu’il porte sur son passé – puisque, on le sait dès le début du livre, il a survécu à la maison de correction.

On quitte le héros en route vers les lieux du cauchemar où il s’apprête, un demi-siècle plus tard, à dire ce qu’il y a vécu, sans réussir à s’approprier ces paroles de Martin Luther King: "Jetez-nous en prison, nous continuerons à vous aimer… Mais ne vous y trompez pas, par notre capacité à souffrir nous vous aurons à l’usure, et un jour nous gagnerons notre liberté. Non seulement nous gagnerons notre liberté pour nous-mêmes, mais ce faisant nous en appellerons à votre cœur et à votre conscience et ainsi nous vous gagnerons aussi et notre victoire sera double".

Geneviève Bridel/aq

Colson Whitehead, "Nickel Boys", traduit de l’anglais par Charles Recoursé, Ed. Albin Michel.

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