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"Rachel et les siens" de Metin Arditi, ou l’art du dialogue au Proche-Orient

Metin Arditi. [DR]
Metin Arditi, Israël-Palestine, dans la peau de lʹautre / La Vie à peu près / 54 min. / le 9 septembre 2020
A travers le portrait d’une dramaturge juive arabe, Metin Arditi affirme son amour pour le théâtre et son engagement pour la cohabitation pacifique des peuples en Palestine. "Rachel et les siens", un beau roman de la rentrée littéraire.

"Dans le personnage de Rachel, il y a beaucoup de moi-même", déclare sans détour Metin Arditi à la RTS. C’est au Proche-Orient, une région que l’auteur fréquente régulièrement, que Rachel et tous ceux qui gravitent autour d’elle lui sont apparus.

Petites et grandes histoires

Elle s’appelle Rachel Alkabès, grandit au début du 20e siècle à Jaffa dans ce qui était la Palestine ottomane, au sein d’une lignée juive arabophone. Ses plus proches voisins sont des Arabes chrétiens avec qui la famille partage une cuisine commune. Dans ce climat propice à la circulation de la parole, Rachel se livre au plaisir du récit. Pour elle, tout est motif à petites histoires. Jusqu’à ce que la grande Histoire interfère dans cette enfance insouciante.

Momentanément chassée de Jaffa avec les siens et réfugiée dans un kibboutz, Rachel découvrira l’émerveillement du théâtre. Et la possibilité d’affirmer ses convictions naissantes dans cette cérémonie particulière qu’est la représentation théâtrale. Ainsi, la fillette deviendra une dramaturge de renommée internationale dont les pièces portent toutes un message: la cohabitation pacifique entre les peuples de Palestine est possible. Une conviction qu’elle ne cessera d’affirmer au long d’une vie faite de combats, d’exils, de passions amoureuses et de deuils.

Rachel et sa force. Rachel et son corps-forteresse. Rachel et sa tendresse. Rachel et son intelligence fulgurante. Rachel et son amour pour les Arabes, pour leur cause.

Metin Arditi, "Rachel et les siens"

Un livre difficile à écrire

"C’est le seul livre dont j’ai arrêté l’écriture à deux reprises parce que c’était trop lourd, se souvient Metin Arditi. Je l’ai commencé à une époque où j’étais très souvent en Palestine et en Israël, et j’étais certain de ne jamais arriver à son terme".

Deux fondations culturelles dont il est le créateur ont conduit l’auteur à se rendre régulièrement au Proche-Orient. La première, "Les instruments pour la paix, Genève", offre une éducation musicale à des enfants israéliens et palestiniens. La seconde, la "Fondation Arditi pour le dialogue interculturel", propose des concours d’écriture à des étudiants juifs et arabes, chacun étant invité à écrire une fiction littéraire en se mettant dans la peau de l’autre. Après trois années consacrées à la courte fiction romanesque, la fondation a invité les étudiants à écrire des pièces de théâtre comprenant des personnages juifs et arabes. A nouveau, le succès était au rendez-vous. Si la situation sanitaire le permet, les pièces des trois derniers lauréats seront jouées à Tel-Aviv en décembre prochain.

Martin Buber, chantre du mouvement cohabitationniste

On l’aura compris, l’histoire de Rachel est intimement liée au parcours et aux préoccupations de Metin Arditi. Elle s’est imposée alors que l’auteur séjournait à Jaffa. C’est là qu’il a découvert un texte du philosophe juif autrichien Martin Buber, chantre du mouvement cohabitationniste Brit Shalom, dont il place un passage en exergue:

Pourquoi la cigogne entre-t-elle dans la catégorie des oiseaux impurs? Parce que, répondit le Rabbi, elle ne dispense son amour qu’aux siens...

Martin Buber, "Récits hassidiques"

"J’ai eu la chair de poule en lisant ce texte d’une grande violence sous son apparente douceur, confie Metin Arditi. Pour Rachel, les siens, c’est tout le monde, ce sont les Juifs, les Arabes, les Chrétiens, les Palestiniens". Des propos à teneur politique qui vont à l’encontre du communautarisme dont on connaît les ravages au Proche-Orient comme ailleurs.

Suivre le parcours de Rachel au long des quelque cinq cents pages du roman, c’est s’embarquer pour un voyage épique à travers le 20e siècle et les événements dramatiques qui secouent la Palestine depuis la création d’Israël. C’est aussi renouer avec le meilleur de Metin Arditi qui, une fois encore, interroge la notion de judaïté à travers des personnages pétris de complexité.

                               

Jean-Marie Félix/aq

Metin Arditi, "Rachel et les siens", Ed. Grasset.

Du 7 au 11 septembre 2020, Metin Arditi est en entretien dans l'émission d'Espace 2 "La vie à peu près".

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