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Vengeance sous le soleil de la Réunion dans "Les Ravines de sang"

Olivia Gerig. [DR - Julien Gregorio]
Olivia Gerig, Les Ravines de sang / Vertigo / 3 min. / le 23 juin 2020
Dans les eaux turquoise de l'Île de la Réunion flottent des cadavres exsangues horriblement mutilés. Avec "Les Ravines de sang", Olivia Gerig fait frémir ses lecteurs en leur servant un polar au goût de rhum arrangé.

Sur l'île de la Réunion, le clapotis des vagues, les requins-tigres, les odeurs d'ylang-ylang, attirent un tueur en série et les membres de la Confrérie du Savoir Universel en exil. A leur poursuite, Aurore Pellet et le commissaire Rouiller sont bien décidés à mettre un terme aux agissements du Mage noir. Olivia Gerig prouve une nouvelle fois son savoir-faire, entraînant tout le monde dans un engrenage sordide où manipulation et vengeance sont les ressorts de l'histoire.

Fascinée par la Réunion qu'elle a appris à connaître par son ex-belle-famille, amoureuse des légendes et des habitants, Olivia Gerig souhaitait faire connaître à ses lecteurs l'île, sa beauté et ses mystères. Comme un cadeau ensoleillé qu'elle leur ferait, révélant au passage ses parts d'ombre. Reprenant les personnages du précédent roman, "Le Mage noir", l'auteure emmène tout le monde là-bas.

Des personnages comme de vieux amis

On y retrouve l'inspectrice Aurore Pellet qui, bien qu'ébranlée dans "Le Mage noir", reprend goût à la vie et cherche à faire tomber définitivement dans l'oubli cette secte apocalyptique. A ses côtés, le commissaire Rouiller, débonnaire et tenace, sort de sa retraite pour l'aider. Des personnages pour qui Olivia Gerig a beaucoup de tendresse. Ils occupent ses romans depuis le début, prenant la place de vieux amis dans sa vie.

Pour tous mes romans, quand je visite un endroit qui m’inspire, j’ai envie d’y situer une intrigue.

Olivia Gerig, auteure

>> A écouter, l'entretien avec Olivia Gerig :

Olivia Gerig. [DR - Julien Gregorio]DR - Julien Gregorio
Entretien avec Olivia Gerig, auteure de "Les Ravines de sang" / QWERTZ / 28 min. / le 24 juin 2020

Pour travailler sur "Les Ravines de sang", Olivia Gerig écoute une grand-mère lui raconter la Réunion. Elle adore se plonger dans la réalité tangible. Comme elle le fait quand elle décrit Genève, le Salève ou Annecy, elle s'amuse ici à nous faire goûter les spécialités culinaires, le rougail saucisse et autre cari. Elle nous promène dans les odeurs des fleurs entêtantes, cherche le palpable, les sensations, les préoccupations des locaux, entre chaleur, musique omniprésente, moustiques, attaques de requin et morsure de piments. Elle écrit en créole, s'aide de dictionnaires, sait maintenant que cadavre se dit "kadav".

J'avais à cœur de partager une expérience, une île. J'avais envie de faire découvrir cet endroit.

Olivia Gerig, auteure

Une réalité historique trouble

Couverture du livre "Les Ravines de sang" de Olivia Gerig. [éditions L'Age d'Homme]
Couverture du livre "Les Ravines de sang" de Olivia Gerig. [éditions L'Age d'Homme]

L'auteure s'amuse beaucoup à écrire cette histoire, grimpant sur les montagnes, plongeant dans les ravines et les falaises de Mafate, tout en insinuant, comme un grain de sable, une réalité historique trouble: l'affaire des "Enfants de la Creuse". Entre 1963 et 1981, 1600 pupilles de l'Etat ont été envoyés en Métropole. Des enfants volés à la Réunion, confiés à la DDASS par des parents pauvres et analphabètes pour qu'ils puissent bénéficier d'une vie meilleure. Une initiative de Michel Debré censée repeupler des départements français fragilisés par l'exode rural. La plupart des enfants seront battus, violés, maltraités par leur famille d'accueil.

Il est des blessures qui ne se referment jamais complètement. Olivia Gerig, touchée par le destin de ces enfants, place leur histoire au cœur du roman. La vengeance de l'un d'eux sera terrible, faisant le lien entre une ferme en Haute-Savoie et une case cachée dans la forêt luxuriante réunionnaise. La résilience ne concerne pas tout le monde.

Une plume légère, mais assassine

Et tandis que la violence fait bouillir le sang d'un homme traumatisé par son enfance, Olivia Gerig en rajoute, mêlant aux potions puantes, exsanguination et sévices, des messes sataniques et des manifestations spirituelles. La romancière avait envie d'aller plus loin dans son exploration de la manipulation des êtres. En imaginant une secte, la Confrérie du Savoir Universel, elle s'interroge sur l'emprise et la perversité narcissique. Le gourou est prêt à tout mettre en œuvre pour que règne enfin l'élite. Le roman a des relents de Waco et de l'Ordre du Temple Solaire, où l'Apocalypse semble la seule fin raisonnable de toute secte.

Olivia Gerig a beau avoir la plume légère, derrière sa timidité elle assassine sans ciller. En quatre romans, dont trois polars, l'auteure genevoise impose son univers à la noirceur écrasée de chaleur. Derrière la fragilité des mots se cache toutefois la tendresse pour ses personnages et pour toutes les victimes des sadiques et autres pervers que nous côtoyons tous les jours.

Catherine Fattebert/ld

"Les Ravines de sang", Editions de l'Âge d'Homme, 30 juin 2020.

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