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"Au petit bonheur la brousse" ou les épreuves d'un ado suisse au Tchad

Nétonon Noël Ndjékéry. [Joao Cardoso]
Entretien avec Nétonon Noël Ndjékéry, auteur de "Au petit bonheur la brousse" / QWERTZ / 33 min. / le 7 mai 2020
A la fois satire politique et roman de formation, le dernier opus de Noël Ndjékéry raconte avec saveur le périple d'un adolescent genevois plongé malgré lui dans un Tchad rongé par la violence. Le livre est en lice pour le Prix du public de la RTS et le Roman des Romands 2020.

Comme de nombreux Africains, Nétonon Noël Ndjékéry possède deux prénoms attestant sa double culture. Le premier, Nétonon, signifie: "Dans la vie il y a un mystère". Peut-on rêver prénom mieux porté lorsqu'on est écrivain?

Cette double appartenance géographique, Noël Ndjékéry la cultive depuis sa naissance. Né au Tchad en 1956, quatre ans avant l'indépendance, il s'est installé en Suisse romande au début des années 1980, alors qu'il était jeune homme. C'est dans notre coin de pays qu'il exerce la profession d'informaticien, lorsqu'il n'écrit pas.

"Nous autres immigrés, nous partons avec notre pays en nous, du moins une image figée qui nous habite à chaque pas. Après tout ce temps, je me sens tout à fait tchadien sans me sentir moins suisse", confie avec bonhomie Noël Ndjékéry. Traversé par cette certitude, l'auteur a imaginé un personnage qui accomplit le trajet inverse au sien.

De Genève à Ndjamena

Bendiman est le fils de l'ambassadeur du Tchad en Suisse. Né à Genève, il y fait ses classes et s'y imprègne de la culture helvétique au point d'adopter comme figures tutélaires Guillaume Tell et la Mère Royaume (personnage historique qui s'est illustré pendant la nuit de l'Escalade, le 12 décembre 1602, face à l'attaque des troupes savoyardes contre la cité de Genève).

La vie de Bendiman est bouleversée lorsque ses parents sont rappelés d'urgence à Ndjamena pour raison d'Etat et enlevés sous ses yeux sans autre forme de procès. Recueilli par un oncle plus ou moins bienveillant, l'adolescent va tenter de retrouver la trace de ses parents en se confrontant à une réalité très différente de celle qu'il a connue en Suisse.

Au fur et à mesure que les éphémérides de cette année-là s'amincissaient, Ben se transformait. Ses belles fringues se défraichissaient. Ses gestes s'arrondissaient. Son sang parut perdre la préférence des moustiques. (…) Quant à son français, il prenait des coups de soleil à lui faire bientôt cracher du feu.

N. Ndjékéry, "Au petit bonheur la brousse"

Une critique féroce

Avec une langue inventive et imagée, proche de celle des conteurs, Noël Ndjékéry suit le périple initiatique de son jeune personnage qui découvre un pays rongé par la corruption, le népotisme et l'instabilité politique. Sous le couvert de la satire, la critique est féroce. Pour les dirigeants actuels du Tchad comme pour la puissance coloniale française d'antan.

Cette violence instituée du temps de la traite négrière arabo-musulmane a été perpétuée pendant la colonisation et s'est poursuivie après les indépendances. Depuis 1963, le Tchad n'a jamais pu rompre avec le cycle de violence dans lequel il est entré.

Nétonon Noël Ndjékéry

Malgré la dureté du propos, cette enquête sur les traces de parents disparus se lit avec le sourire aux lèvres et parfois un pincement au cœur. On est amusé et attendri en suivant les épreuves de cet adolescent surnommé Mini Tell qui saura s'imposer dans un milieu hostile grâce à son culot, sa débrouillardise, et sa foi inébranlable en Guillaume Tell et la Mère Royaume.

"Dans l'ethnie à laquelle j'appartiens, Bendiman est un prénom assez répandu qui signifie 'pays d'emprunt'", confie Noël Ndjekery. Pour l'auteur comme pour son personnage, le prénom a su infléchir, si ce n'est déterminer, un destin…

Jean-Marie Félix/ld

"Au petit bonheur la brousse", Editions Hélice Hélas, Nétonon Noël Ndjékéry.

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