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Roland Jaccard, un séducteur fatigué dans sa bibliothèque

Couverture du livre "Dis-moi la vérité sur l'amour" de Roland Jaccard. [Editions de l'Aire]
Entretien avec Michel Moret, éditeur du dernier livre de Roland Jaccard / Caractères / 14 min. / le 12 janvier 2020
Le Lausannois le plus mondain de Paris, Roland Jaccard, vient de publier ses réflexions mélancoliques sur l'amour dans la collection Le banquet aux Editions de l'Aire. État des lieux ou fin de parcours? Son éditeur, Michel Moret, éclaire ce livre irrégulier.

Après Ramuz, Auberjonois, Cendrars, Contat, puis Comment et Pajak, le Lausannois Roland Jaccard s'est durablement installé à Paris où ses activités d'éditeur, chroniqueur et directeur de collection ont enrichi le corpus psychanalytique, notamment. Auteur de plusieurs récits "irréguliers", ce dandy des lettres germanopratines n'en a pas moins cultivé une ironie désespérée dans le sillage de Nietzsche et de Cioran.

Soigner le gâchis par les livres

Ne demandez pas à Roland Jaccard, fils et petit-fils de suicidés, des remèdes au mal de vivre. Pourtant, dans sa dernière confession "Dis-moi la vérité sur l'amour", il se penche sur les livres et les films qui l'ont souvent rasséréné et sauvé, provisoirement, du désespoir. Empruntant son titre à un poème de Wystan Hugh Auden, mort à Vienne en 1973, le lecteur se reconnaît "Trop frivole, trop égoïste, trop désabusé." La lucidité la plus radicale n'est-elle pas encore une forme d'amour, s'interroge Jaccard qui ne fait pas mystère de sa règle de vie: "… il faut se prêter aux autres et ne se donner qu'à soi-même".

Sans doute cette négation de l'altruisme éteint les étoiles, emballe la lune et démonte le soleil, comme il le dit en astronome des trous noirs.

Amours adolescentines

Familier naguère de la piscine Deligny. Jaccard s'est-il trop éclaboussé du désir des jeunes femmes? Il en fit le nerf de son libertinage, mais les Casanova en maillot n'en connaissent pas moins, en vieillissant, la douche froide. Moins cynique qu'il n'y paraît, il a souffert des ruptures et des impasses et cultive son chagrin en songeant à ses jeunes amies dont il voulut être le Pygmalion. "Être amoureux, c'est compter jusqu'à un, surtout quand on croit être deux". Le bilan est donc soustractif et rime avec dépressif, bien qu'il ne faille pas se prêter au jeu du séducteur désabusé. Les affects ne fonctionnent plus chez le septuagénaire, mais fictionnent toujours autant. Adepte du stoïcisme à l'antique, notre Lausannois des bords de Seine?

Disons qu'il en adopterait l'âpre morale en flirtant avec Woody Allen: "Plus le pessimisme s'accroît et plus le comique s'intensifie".

Commediante, tragediante

Une telle sévérité a de quoi déconcerter en retournant Narcisse contre lui-même. N'en va-t-il pas des reflets comme des illusions: quand ils s'évanouissent, ne nous laissent-ils pas orphelins? C'est cette condition d'abandon que décrit Jaccard de livre en livre, de film en long-métrage. N'oublions pas cependant sa longue bibliographie, ses essais stimulants sur Freud, les auteurs qu'il a révélés et édités; en un mot: sa passion de partager, tout égotiste qu'il soit, paraît-il.

Quoique le personnage, plus complexe à l'écrit qu'à l'oral, n'en lâche pas moins ses démons numériques, il serait préférable qu'il se souvienne des subtilités freudiennes. O tempora, o mores!

Christian Ciocca

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