Jean Echenoz: "J’essaie toujours de ne pas répéter ce que j’ai fait auparavant"

Du travail d’équilibriste. Le dernier roman de Jean Echenoz, ce grand styliste, est un bijou d’intelligence et d’ingéniosité, une construction qui tient sur un fil. Soit un homme, Gérard Fulmard, mi-inadapté mi-pas bien malin, qui décide de se transformer en détective privé et se trouve embringué dans une affaire d’enlèvement rocambolesque.

Et le lecteur va à sa suite visiter les coulisses pas très glorieuses d’un parti politique composé d’incapables. Car c’est Nicole Tourneur, secrétaire nationale de la mystérieuse FPI (Fédération populaire indépendante), qui a disparu. Politiciens pathétiques, ambitions inavouables, suspens tenu jusqu’au bout, portraits et dialogues, Echenoz a créé un assemblage parfait où se joue une petite note désespérée, dissonante, celle de la jeune Louise Tourneur. La fille de la kidnappée est navrée d’assister à ce qui se trame autour d’elle.

Du style et de la virtuosité

On ne vous racontera pas par le menu cet imbroglio dans lequel se trouve plongé le narrateur, Gérard Fulmard. Car plus encore que l’intrigue c’est le style, la tonalité, la virtuosité de Jean Echenoz qui frappe ici.

Un Jean Echenoz qui semble s’être bien amusé à nous concocter ce récit loufoque au parfum de tragédie grecque. Il explique: "Il y a toujours une place pour l’imprévu. Il faut que j’ai un fil narratif assez ferme pour me guider dans la progression du récit. Assez ferme mais aussi assez souple pour me permettre des digressions".

Depuis très exactement quarante ans, Echenoz nous surprend. Depuis "Le méridien de Greenwich", premier roman en 1979, jusqu’à aujourd’hui , l’auteur n’a cessé de faire entendre dans le paysage littéraire français une voix singulière et toujours en transformation comme un "work in progress".

Une grande liberté narrative

Figure emblématique des éditions de Minuit, la non moins emblématique maison fondée par Jérôme Lindon, Echenoz est remarquable par un travail précis sur le langage et une sorte d’amusante excentricité qui lui est propre.

Marqué à ses débuts par un travail sur la littérature de genre, il est également l’auteur d’une série de trois textes mettant en scène des personnages réels: le musicien Maurice Ravel, l'athlète Emil Zatopek et l'inventeur Nikola Tesla.

Après "Envoyée spéciale", sorte de récit d’espionnage loufoque, le voici donc de retour avec ce "Vie de Gérard Fulmard". Deux livres qui semblent réunis par une grande liberté narrative. "Le plaisir de la fiction est ce qui m’occupe depuis pas mal d’années. C’est ce qui m’a toujours fait écrire".

Un effet de réel saisissant

Une fiction étayée par un souci du détail qui peut sembler obsessionnel, notamment en ce qui concerne les lieux. Dans le roman, chaque rue de Paris où se déroulent les événements est scrupuleusement nommée. Echenoz confie toujours beaucoup se documenter avant d’écrire, aller sur place, prendre des photos, lire: pour écrire ce dernier livre, il s’est ainsi avalé une biographie de Mike Brant, "dont je connaissais mal l’œuvre", explique-t-il avec un sourire.

Mais au-delà d’un effet de réel assez saisissant, c’est bien la musicalité, la langue d’Echenoz qui donne à ses romans toute leur saveur. "Chaque phrase doit sonner, doit avoir une existence organique. Elle doit être vivante, faire du bruit et ce bruit doit me convenir. Il faut qu’il y ait des fausses notes, des assonances, des harmonies, un rythme particulier. La dimension du son m’importe autant que l’image".

Sylvie Tanette/aq

_{Jean Echenoz, "Vie de Gérard Fulmard" Editions Minuit}

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