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Charles Ferdinand Ramuz, un Vaudois au coeur de Paris

L'écrivain suisse Charles Ferdinand Ramuz. [Roger-Viollet/AFP - Gaston Paris]
Entretien avec Stéphane Pétermann, spécialiste de l'oeuvre de Ramuz / Figures libres / 13 min. / le 7 janvier 2020
Désormais dans le domaine public, le défunt Charles Ferdinand Ramuz est sujet d’une double actualité littéraire via une nouvelle publication de "Paris (notes d'un Vaudois)" et un essai, "Ramuz – L’écriture comme absolu" de Stéphane Pétermann.

Les Editions Zoé publient le récit autobiographique "Paris (notes d’un Vaudois)" dans sa version originale de 1938. L’opportunité de suivre "ce petit Vaudois", âgé de 22 ans quand il descendit du train à la gare de Lyon au début octobre 1900 lors d’un premier séjour d’une année qu’il allongera de onze autres de 1904 à 1914.

Dans ses souvenirs de la capitale, l’écrivain, consacré tant en Suisse romande qu’en France, revenait sur ces années parisiennes qui furent marquantes, mieux, qui lui permirent de devenir "un Vaudois" et découvrir sa langue, par la langue, et contre la langue du français normé dès le Grand Siècle par l’Académie française.

Récit croustillant, rempli de réflexions sur l’opposition entre un grand centre urbain et la nature qui l’environnait dans son enfance, le lac, les montagnes, les vignobles. Tension lisible dans son chantier poétique et romanesque que Paris lui a offert en contre-plan.

Une thèse avortée

Parti avec une licence en lettres classiques de l’Université de Lausanne pour y rédiger sa thèse sur le poète romantique Maurice de Guérin (1810-1839), Ramuz s’est bien penché sur des manuscrits en bibliothèque mais n’a jamais entrepris son doctorat.

Comme bien d’autres Vaudois, l’écrivain en herbe a vécu sa solitude parisienne comme un creuset de son œuvre romanesque et rédigé dans ses divers logements des textes fondateurs: "Le Petit Village", "Aline", "La Grande Guerre du Sondrebond", "Le Village dans la montagne", "Jean-Luc persécuté", "Nouvelles et morceaux", "Aimé Pache, peintre vaudois".

Éloignement salvateur en ceci qu’il comprit que le français, "son unique langue à lui, celle précisément qu’on n’apprend pas, celle qu’on pompe avec le sang dans le ventre de sa mère […], était une espèce de dialecte franco-provençal, qui a son accent, son rythme, sa cadence, lesquels lui confèrent l’authenticité." Par un travail acharné, il a exprimé une langue-geste, non descriptive, allitérative, une langue en spirale qui, en une syntaxe particulière, a considérablement enrichi la littérature francophone.

Une géographie intérieure

Bien que revenu à plusieurs reprises à Lausanne, en visite à Lens en Valais ou sur la Riviera (sa mère était une Davel, originaire de Cully et parente du fameux major décapité en 1723 par Leurs Excellences de Berne pour rébellion), Ramuz n’a pas seulement cherché à fixer dans son œuvre un "topos" vaudois, géographie certes reconnaissable, mais a développé au contraire une géographie mentale trop souvent assimilée à une littérature nationale.

Méfiant face à l’industrialisation, inquiet du développement cosmopolite du monde, il voyait dans la figure du paysan (son ascendance paternelle révèle d’ailleurs son appartenance à la paysannerie) une forme de résistance par le haut à la déshumanisation active dans la civilisation contemporaine.

Contre la ruine, l’absolu

La couverture du livre "Ramuz. L'écriture comme absolu" de Stéphane Pétermann. [Edition Infolio/Presto]
La couverture du livre "Ramuz. L'écriture comme absolu" de Stéphane Pétermann. [Edition Infolio/Presto]

Stéphane Pétermann, responsable de recherche au Centre des littératures en Suisse romande (UNIL) a participé depuis plusieurs années au "chantier Ramuz", l’édition chez Slatkine des œuvres complètes en 29 volumes et l’édition des "Romans" de l'écrivain dans la Bibliothèque de la Pléiade chez Gallimard.

Il publie en janvier 2020 un essai, "Ramuz – L’écriture comme absolu", pour mieux cerner ce qui constitue le cœur du projet littéraire de l’auteur le plus célèbre (et célébré) des Vaudois disparu il y a 72 ans.

Car ce "saturnien", frappé dès son enfance par le deuil de ses deux frères morts avant lui et dont il porta les prénoms Charles et Ferdinand, développa dès sa jeunesse une nostalgie sans fin pour l’absolu, nom générique de l’élémentaire, de la beauté, de la grandeur, de la plénitude et de la permanence que ses personnages incarnent jusqu’à la tragédie.

Vision pessimiste du destin, transcendance contrariée face à la perte de l’unité du monde, l’écriture ramuzienne s’est voulue au service d’un univers cohérent et clos, suffisamment solide pour "asseoir l’objet passager dans l’éternité".     

Christian Ciocca/aq

C.F. Ramuz, "Paris (notes d’un Vaudois)", avec une introduction de Pierre Assouline, Zoé Poche, janvier 2020

Stéphane Pétermann, "Ramuz, L’écriture comme absolu", coll. Presto, infolio, janvier 2020

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