Publié

Catherine Colomb, immense romancière vaudoise à découvrir

Catherine Colomb. [CLSR/UNIL - Clara Parisod]
Catherine Colomb, sortie du purgatoire / Nectar / 33 min. / le 21 novembre 2019
Catherine Colomb (1892-1965) sort enfin du purgatoire. L'oeuvre de l'autrice de "Le Temps des anges", pourtant très estimée de ses pairs, n'a jamais réussi à s'imposer au grand public. L'ensemble de ses textes paraît aujourd'hui en un seul volume de 1'680 pages, chez Zoé.

Ecrivaine considérable, Catherine Colomb (1892-1965) n’a pourtant pas bénéficié de son vivant de la considération que son œuvre mérite. Révélée tardivement en 1961 par le Prix Rambert pour son roman "Le Temps des anges", paru la même année, plus ancienne récompense littéraire de Suisse romande, l’auteure vaudoise, malgré l’estime de ses pairs, Gustave Roud, Jean Paulhan de la Nouvelle Revue Française, ne s’est jamais imposée au grand public.

Contrainte par les contingences familiales

La construction complexe et "enchâssée" de ses fictions, proche du Nouveau Roman par la fragmentation de l’intrigue, sa propre situation de femme et mère au foyer, contrainte par des contingences familiales peu favorables à la création, ont joué contre elle, semblable en cela à la carrière "féminine" d’Alice Rivaz dont l’activité professionnelle l’éloigna des cénacles littéraires.

Catherine Colomb, née Marie Louise Colomb à la fin du XIXe siècle au château familial de Saint-Prex, ne fut pourtant pas une écrivaine "sur le tard", mais bien rédactrice dès son jeune âge, avant sa vingtaine, d’articles dans la presse lausannoise. Elle y relatait les fines observations d’une Suissesse sur l’Allemagne lors de son séjour à Weimar en 1911, enseignant le français dans un pensionnat. Cette expérience à l’étranger lui permit une grande maîtrise de l’allemand et de l’anglais tout en consolidant un solide bagage littéraire, notamment les auteurs germaniques et britanniques.

Catherine Colomb à Cully en 1914. [Fonds C. Colomb, Centre des littératures en Suisse romande, UNIL]

Influence proustienne

Tôt donc l’écriture lui devint nécessaire d’autant mieux qu’elle se révéla aisée, rythmée, vitale. Ecrire oui, mais dans quelle circonstance, avec quelle liberté? Ce n’est qu’à l’aune de sa quarantaine en 1930 qu’elle commença à arracher à ses tâches quotidiennes quelques plages et pages à la plume ou à la machine à écrire. De cette discontinuité, la "vie comme elle va", elle sut tirer parti en déconstruisant, davantage qu’en construisant à la manière classique, ses romans et récits, pétris de mémoire et de sensations enfouies. A cet égard, n’a-t-elle pas retenu la leçon de Proust qui l’émerveilla ?

La vie… est-ce qu’elle agit conformément à un plan? Est-ce que la mémoire n’intervient pas sans cesse, créant une vie parallèle, qui amène des centaines de souvenirs, de visions fugitives, des rêves, et soudain, on ne sait pourquoi, tout s’efface, et seul subsiste pour un instant ce souvenir de pervenches autour d’une tombe, ou dans un salon, le bruit mat des pétales de rose blanche qui s’effeuille lentement sur le tapis de velours beige brodé de fils dorés? Et puis tout revient comme des vagues, le vacarme du monde entier qui galope sur ses chevaux de bois […].

Catherine Colomb, in conférence Chemins de mémoire, Expo nationale 1964.

Aux marges de la littérature

Ainsi, à son insu, ou du moins le pense-t-on, s’est-elle marginalisée en bordure des "romans bien faits" structurés pour plaire au plus grand nombre. Elle opta au plus près de sa singularité pour une "voix irrégulière" selon le terme du critique lausannois Georges Anex, son lecteur enthousiaste à l’époque. Daniel Maggetti qui a coordonné l’édition des écrits enfin complets "Tout Catherine Colomb" en souligne "le caractère exceptionnel (...) inclassable dont la facture, le rythme, l'accent personnels n'ont rien rien perdu de leur pouvoir d'envoûtement".

Néanmoins, en Suisse romande, appuyée par La Guilde du Livre dont le comité était composé de l’éditeur Mermoud, de Ramuz et Roud, Catherine Colomb rencontra un public choisi grâce à sa "trilogie" comme on surnomme volontiers ses romans de la maturité: "Châteaux en enfance" (1945), "Les Esprits de la terre" (1953) et "Le Temps des anges" (1962).

Voix irrégulière certes, quoique nourrie aux meilleures sources philosophiques (Bergson, Bachelard, Lavelle), Catherine Colomb, souvent protégée par ses nombreux pseudonymes (Charrière, Salvagnin, Tissot), avança souveraine en écriture qu’elle vivait, en dehors des sentiers battus, comme un besoin vital.

Christian Ciocca/mcm

"Tout Catherine Colomb", édition dirigée par Daniel Maggetti, avec la collaboration d’Auguste Bertholet, Valérie Cossy, Anne-Lise Delacrétaz, François Demont, Claudine Gaetzi, José-Flore Tappy, Editions Zoé, 2019.

Vous aimez lire? Abonnez-vous à QWERTZ et recevez chaque vendredi cette nouvelle newsletter consacrée à l'actualité du livre préparée par la rédaction culturelle de la RTS.

Publié