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Un beau roman graphique retrace la vie de Guylaine, une femme "moche"

Qu'est-ce que la laideur? s'interroge Guylaine dans "Une vie de moche" de François Bégaudeau et Cécile Guillard. [Editions Marabulles]
L'invité: François Bégaudeau, Une vie moche / Vertigo / 45 min. / le 30 octobre 2019
François Bégaudeau cosigne avec Cécile Guillard "Une vie de moche", BD féministe qui raconte l'histoire de Guylaine, de sa naissance à ses 60 ans. Sa particularité: être disgracieuse. Objectivement ou subjectivement?

S'appeler Guylaine ou Annabelle, ce n'est pas pareil. On entend belle pour le second prénom, vilaine pour le premier. Et c'est bien son fardeau à cette pauvre Guylaine, héroïne de "Une vie de moche", le roman graphique du scénariste François Bégaudeau et de la dessinatrice Cécile Guillard, 25 ans, dont c'est le premier album.

Le tandem accompagne leur personnage de l'enfance à la ménopause, ce qui permet de traverser six décennies, avec ses modes et ses impératifs. Guylaine a la malchance de vivre son adolescence dans les années 80 qui furent aux yeux de François Bégaudeau la période de la grande poussée hygiéniste, et avec elle la standardisation des physiques.

Une planche du roman graphique "Une vie de moche", de François Bégaudeau et Cécile Guillard. [Editions Marabulles]
Une planche du roman graphique "Une vie de moche", de François Bégaudeau et Cécile Guillard. [Editions Marabulles]

La honte plus forte que la joie

Se mettre dans la peau de ses personnages relève du travail du romancier. Mais où François Bégaudeau est-il aller chercher ce qui à priori lui est étranger? Comment a t-il su traduire le sentiment d'infériorité que Guylaine ressent? Ce déclassement permanent qu'elle rencontre dans sa vie quotidienne?

Nous avons tous en nous un puits d'humiliations accumulées au fil des ans. L'école, par exemple, est un lieu de vexations et de complexes. Il suffit d'aller puiser dans ses souvenirs. On est tous le moche ou le faible de quelqu'un. La honte s'inscrit plus durablement que la joie. J'ai écrit depuis ma propre faiblesse.

François Bégaudeau, scénariste de "Une vie de moche"

En presque 200 pages, les auteurs montrent tous les tourments qu'une fille disgracieuse peut éprouver, toutes les ruses qu'elle doit déployer pour surmonter cette disgrâce, tout le système de compensation qu'elle a imaginé pour trouver sa place sur le marché de l'amour.

Laideur objective ou subjective?

La couverture d'"Une vie de moche", de François Bégaudeau et Cécile Guillard. [Editions Marabulles]
La couverture d'"Une vie de moche", de François Bégaudeau et Cécile Guillard. [Editions Marabulles]

"La laideur a ceci de supérieur à la beauté qu'elle ne disparaît pas avec le temps", disait Serge Gainsbourg. Guylaine, elle, mettra presqu'une vie pour faire la paix avec son apparence après avoir passé par la tristesse, la colère, la révolte, le sentiment d'injustice, la culpabilité (qu'ai-je fait pour mériter ça?) et l'accablement.

Ce que les deux auteurs décrivent, c'est un travail de deuil: faire avec ce qui n'est plus et n'a jamais été. Mais selon quel critère? Qui décide de sa disgrâce? La mocheté n'est-elle pas subjective, comme la beauté?

Une beauté, des laideurs

"On a tous dévisagé, dans le train, le bus, des gens que l'on jugeait objectivement laids parce qu'ils ont un nez énorme, des oreilles décollées, un menton en galoche...Dans le cas de Guylaine, la question s'est posée: fallait-il que sa laideur s'incarne véritablement? Avec Cécile, nous avons jugé que cela n'était pas utile. D'abord parce qu'on n'a pas envie de vivre 200 pages avec un physique qui nous rebuterait, ensuite parce que nous voulions que soit maintenu en suspens cette question de la laideur objective. D'une case à l'autre, Guylaine est différente, comme nous le sommes tous".

Découvrir qu'elle est une fille et qu'elle est moche

Dans le cas de Guylaine, c'est la cruauté des autres enfants qui lui renvoie cette disgrâce. Guylaine, perchée sur un arbre avec son copain d'enfance, s'entend dire par les petits garçons qui jouent en bas au foot: "Toi tu peux venir, mais pas la moche".

Pour la fillette qui tombe de l'arbre, c'est la fin de l'Eden, de ce commerce heureux et asexué entre garçons et filles.

Les garçons infusent un poison, dont elle ne se remettra pas. C'est ce qu'on appelle une opération de sexualisation. Dans la même seconde, Guylaine découvre qu'elle est laide et qu'elle est une fille.

François Bégaudeau, scénariste, romancier, réalisateur et auteur de "Une vie de moche"

L'histoire aurait-elle été la même si Guylaine s'était appelé Guylain? "Il n'y a certainement pas la même équivalence. L'injonction faite aux femmes de "bien présenter" est beaucoup plus pressante et parfois, souvent même, les femmes intériorisent ces injonctions au point de devenir leur propre bourreau. Mais une chose est sûre: l'enjeu presque invariant de toutes les sociétés, c'est le contrôle du corps féminin, de sa fécondité, de sa mobilité, de ses vêtements et de son apparence".

Propos recueillis par Laurence Froidevaux

Adaptation web: Marie-Claude Martin

François Bégaudeau, Cécile Guillard, "Une vie de moche" (Editions Marabout).

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