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La rentrée littéraire entre valeurs sûres, pépites et "littérature BFM"

La rentrée littéraire 2019 présente un choix de premiers romans sélectionnés avec soin. [Fotolia - Glaser]
La rentrée littéraire 2019 présente un choix de premiers romans sélectionnés avec soin. - [Fotolia - Glaser]
Chaque automne apporte son lot de romans attendus - inattendus. Inutile de tenter un classement tant les thèmes et les genres sont multiples et, de fait, incomparables. Mais voici quelques titres qui sortent du commun.

Alors que les jurys des grands prix littéraires commencent à révéler leurs premières sélections, on peut aujourd'hui distinguer ce qui marquera la rentrée littéraire 2019, dans une atmosphère légèrement secouée par toutes sortes de bizarreries, dont l'arrivée d'Amélie Nothomb et son chapeau dans les livres retenus pour le Goncourt.

Comme l'an dernier, on peut qualifier cette rentrée de resserrée, car le nombre de titres publiés entre août et octobre ne cesse de chuter. L'explication est simple: les chiffres de vente en librairie ont été catastrophiques tout au long de l'année 2018. En 2017, on a mis en cause la présidentielle. En 2018, on a accusé les gilets jaunes. En 2019, on se dit qu'il va falloir faire avec: le secteur est en difficulté. Les éditeurs aujourd'hui se montrent prudents, tentent de mieux emballer chacun de leurs titres, et cet automne, personne à Paris ne semble en mesure de plastronner.

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Aller à l'essentiel

Raison de plus pour aller à l'essentiel: la qualité littéraire des ouvrages. Loin de prétendre à l'exhaustivité, voici un petit échantillonnage de titres enthousiasmants.

Le plaisir de chaque rentrée est la découverte des petits nouveaux - en se demandant qui survivra plus d'une saison. On porte une attention particulière à "77" de Marin Fouqué (Actes Sud), texte sensible sur la jeunesse qui s'ennuie dans la grande banlieue parisienne et on retiendra l'habileté narrative de Victor Jestin, "La chaleur" (Flammarion), roman haletant dans le décor pourtant banal d'un camping où des ados là aussi se désespèrent.

Mais comme toujours, on trouve dans la rentrée quelques valeurs sûres. Marie Darrieussecq, qui publie "La mer à l'envers" (POL), est sans doute une des plus intéressantes. Son portrait de femme dont la vie est secouée par sa rencontre avec un jeune migrant est étonnant d'originalité. Féministe, très bien ficelé, ce roman parle aussi du couple, de la parentalité, du travail, avec une légèreté réjouissante.

Des romans balzaciens

Tradition française oblige, chaque rentrée nous apporte son lot de grands romans balzaciens. Il y a les réussis, comme l'excellent "Cora dans la spirale" de Vincent Message (Seuil). Il se présente comme une enquête journalistique dans une société d'assurances où sous prétexte de performance on applique un management destructeur. Message a suffisamment de talent pour créer des personnages profondément humains, brosser un grand sujet sociétal sans recourir à la fiche Wikipédia et tenir son roman jusqu'à la dernière page. Et il y a les ratés, comme celui de Karine Tuil, "Les choses humaines" (Gallimard), qualifié de "littérature BFM" par le magazine Transfuge. Tuil aligne les poncifs, crée des personnages de carton-pâte aux dialogues déclamatoires, dans un livre d'un antiféminisme risible.

Heureusement, il y a les grands stylistes, et la palme d'or cet automne va à Jean-Philippe Toussaint, publié comme toujours chez Minuit. "La clé USB" est un pur bonheur littéraire, une enquête à la Agatha Christie revisitée par la modernité avec comme narrateur un fonctionnaire européen. Virtuose, drôle et grave, Toussaint ne se contente pas d’un exercice de style et aborde des sujets très politiques, sans jamais peser.

Dans la catégorie du plus ambitieux et du plus courageux à la fois, on retient Leonora Miano et son énorme "Rouge impératrice" (Grasset). L'autrice de "La saison de l'ombre", prix Femina 2013, pourrait de nouveau décrocher un grand prix cette année. Dans sa fiction construite comme une série où chaque chapitre serait un épisode, elle imagine une Afrique forte et unifiée où les Européens sont des migrants discriminés.

Des pépites

Et puis il y a les outsiders, ceux dont on manque de mots pour dire à quel point leurs livres sont beaux. Il est assez émouvant de constater que les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale continuent de hanter la littérature et il faut mentionner l'inclassable Santiango H. Amigorena. Dans "Le ghetto intérieur" (POL), il retrace la vie de son grand-père, juif polonais émigré en Argentine, qui a vu depuis là-bas le piège se refermer sur sa mère âgée restée à Varsovie. Amigorena dans ce texte d’une grande sobriété raconte le poids du chagrin dont il a hérité.

Mais l'événement de l'automne pourrait bien être ailleurs que dans cette foule tumultueuse. Le 3 octobre sortira le prochain et magnifique roman de Patrick Modiano, "Encre sympathique" (Gallimard). Modiano et sa petite musique discrète, mélancolique et inimitable, pourrait bien être la vraie pépite de cette rentrée.

Sylvie Tanette/ld

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