Publié

Philippe Djian: "L'écriture est le lieu où j'entends bien"

Philippe Djian [gallimard.fr - F. Mantovani]
Philippe Djian : " Les Inéquitables " / Versus-lire et penser / 39 min. / le 17 mai 2019
Depuis près de quarante ans, on n'en finit pas de s'interroger sur ce qui fait la spécificité du style Djian. Pourtant, si longtemps après "Zone érogène", Djian continue à surprendre avec ce dernier roman "Les inéquitables" (Gallimard).

Dans chacun de ses livres, on retrouve un rythme, une atmosphère, une langue, le même type d'histoires abracadabrantes dans lesquelles on se laisse embarquer avec bonheur. Son dernier roman commence sur une bagarre, parce que Marc cogne sur tous ceux qui approchent Diana de trop près. C'est la femme de son frère décédé. Elle est suicidaire, meurtrie, très belle et il vit avec elle.

Mettez dans cette ambiance électrique une histoire de trafiquants de drogue, un meurtre sanglant et c'est parti, Philippe Djian s'en donne à cœur joie.

Une interview comme une masterclasse

Lors de son interview accordé à la RTS, Djian se raconte et revient sur les œuvres qui l'ont construit, les auteurs qu'il considère comme des pères, en particulier Kerouac et Salinger. Il explique aussi sa façon de travailler, et comment il a construit son dernier roman, un magnifique portrait de femme.

L'auteur de Vers-chez-les-Blanc se souvient de son enfance, de son père qui "n'avait jamais entendu parler de Kerouac": "Mais il m'a fait découvrir Léo Ferré, et je lui en suis éternellement reconnaissant. J'avais onze ou douze ans, il m'emmenait voir ses concerts. Il ne m'a jamais dit pourquoi mais il tenait à ce que je sois là. Et Léo Ferré m'a conduit vers la poésie, la force des mots".

C'est donc par la poésie que Djian est arrivé à l'écriture, et cet intérêt pour la langue, la phrase et le rythme, il l'explique ainsi: "Je suis sourd d'une oreille. Peut-être que c'est pour cela - je n'entends pas bien, je n'entends pas tout - que j'essaie de créer quelque chose où il y ait de l'harmonie. L'écriture est le lieu où j'entends bien".

Je ne vous dis pas tout. Attendez de voir comment mes personnages réagissent.

Philippe Djian, auteur de "Les inéquitables"

A seize ans chez Gallimard

Il ne s'est pourtant pas toujours imaginé écrivain, bien qu'il ait eu par hasard la chance de croiser des romanciers, et pas des moindres, très jeune. Il avait seize ans et sa mère lui avait trouvé un job d'été chez Gallimard. "Je n'avais pas du tout envie de ressembler à ces gens-là, c'était des vieilles personnes. Je me demande si Paul Morand n'avait pas un déambulateur". Mais voilà, aujourd'hui Djian a presque soixante-dix ans, et c'est bien dans le salon bleu de chez Gallimard qu'il accorde ses interviews.

Il faut prendre des personnages ordinaires et les mettre dans des situations extraordinaires, pour qu’ils se révèlent. Et ça, ça m’amuse.

Philippe Djian, auteur de "Les inéquitables"

Ce qui intrigue avant tout chez Philippe Djian, c'est son style, qu'il a affiné roman après roman et qu'il continue à travailler. Le romancier expérimente, se permet un traitement toujours plus radical du récit.

L'art des ellipses

Passé maître dans l'art du découpage et du montage, il n'a pas son pareil pour nous plonger dans un dialogue déjà commencé que le lecteur attrape au vol. Ainsi, rien n'est jamais expliqué dans ses livres, on découvre peu à peu les ressorts de l'histoire, la psychologie des personnages et parfois quelques bribes de leur passé. Philippe Djian suggère, on suppose, et ça marche. "Ce qui me semble intéressant dans un dialogue, c'est ce qui n'est pas dit, et qu'on peut retranscrire par des silences, des ellipses".

Philippe Djian ouvre au lecteur la porte de son atelier d'écriture, et en l'écoutant on prend conscience que cette recherche du mot juste pour équilibrer un paragraphe est la passion de toute une vie.

Sylvie Tanette/mcc

Publié