Banner RTSCulture pour la série "Le Siècle Magnifique". [DR]
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"Le Siècle magnifique", soap opera inspiré par la vie de Soliman Ier

> Véritable phénomène de société, les séries historiques ont la cote. Les meilleures d'entre elles ont été décryptées par un panel d'experts de l'Université de Genève, dans le cadre d'un programme visant à interroger notre rapport à l'histoire. Ce travail a donné lieu à un cycle de conférences intitulé "The Historians" et à une mise en image de certaines d'entre elles par la société de vidéo La Souris Verte, en coproduction avec RTS Découverte et RTS Culture, sous forme de cinq capsules de trois minutes environ.

> "Le Siècle magnifique" ("Muhteşem Yüzyıl") est une série télévisée turque créée par Meral Okay et produite par Timur Savci. Elle a été diffusée de 2011 à 2014 sur la chaîne turque Show TV.

> Comptant quatre saisons et 139 épisodes, la série s’inspire librement de la vie de Soliman Ier, dit le Magnifique, dixième sultan de la dynastie ottomane au XVIe siècle. Proche dans sa forme du soap opera, "Le Siècle magnifique" met en scène la vie du harem et les intrigues de la cour impériale.

> Le décryptage de Ludovica Tua, diplômée du Global Studies Institute, étudiante à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales.

>> A lire: Dossier "L'histoire dans les séries" sur le site de RTS Découverte

Une série à succès

La vie de Soliman le Magnifique

Succès populaire mondial, "Le Siècle magnifique" est pourtant méconnu sous nos latitudes. Si la série s’inscrit formellement dans le cadre historique du règne du sultan ottoman Soliman le Magnifique (1520-1566), elle fait la part belle aux intrigues de la cour et se présente dans sa forme narrative comme un dérivé télévisuel du soap opera.

The Historians - Le siècle magnifique - Introduction
The Historians - Le siècle magnifique - Introduction / RTS Découverte / 5 min. / le 15 octobre 2018

La série s'insère dans un contexte de remise en valeur du passé ottoman qui existait déjà en Turquie. Se rendant compte que le passé impérial se vendait très bien et que les gens étaient intéressés à connaître leur histoire, des dirigeants de la production télévisuelle ont décidé de décliner cet aspect sur le petit écran.

Inspirée des soap operas qui étaient déjà produits en Turquie et des drames historiques européens ou américains, la série se permet une certaine licence créative avec les éléments historiques. Elle est donc à voir non pas comme un documentaire sur une époque, mais comme un soap opera se déroulant au XVIe siècle.

Le scénario de la série est ainsi surtout axé sur les relations sentimentales, les intrigues et les complots de la cour. Les figures féminines ont le plus souvent une importance supérieure à celle du sultan qui apparaît comme un personnage pas tout à fait maître de son destin.

Succès international

La série a connu un immense succès non seulement en Turquie, mais aussi dans une cinquantaine d'autres pays, en particulier au Moyen-Orient, dans les Balkans et dans tous les pays qui faisaient autrefois partie de l'Empire ottoman. Elle a atteint le chiffre record de 300 millions de téléspectateurs.

Ce succès s'explique non seulement par la trame de l'histoire qui cherche à fidéliser les spectateurs épisode après épisode, mais aussi par tout le débat que cette série a déclenché sur les réseaux sociaux, dans la presse et dans les milieux académiques.

La mise en scène de Soliman

Un souverain emblématique

Le sultan Soliman le Magnifique fut sans conteste le souverain le plus emblématique de l’histoire ottomane. Les raisons de cette aura hors du commun s’expliquent par la longévité remarquable de son règne et sa réputation d’intégrité et magnanimité.

The Historians - Le siècle magnifique - La mise en scène de Süleyman
The Historians - Le siècle magnifique - La mise en scène de Süleyman / RTS Découverte / 5 min. / le 15 octobre 2018

Connu par l'appellatif de "Magnifique" en Occident, Soliman Ier est désigné comme "Législateur" en Orient. Il a en effet consacré une bonne partie de sa vie à redéfinir le système juridique et fiscal de l'Empire ottoman qu'il a gouverné de 1520 jusqu'à sa mort en 1566. Et c'est sous son règne que l'Empire ottoman a connu son expansion territoriale la plus grande.

Un âge d'or

C'est pour ces raisons que son règne est considéré par les historiens comme l'apogée de la civilisation ottomane, un âge d'or marqué par l'essor de la culture, des succès militaires sans précédent et par l'établissement de certaines lois qui perdureront jusqu'au XIXe siècle.

A partir des années 1980, le monde académique et l'espace public turcs redécouvrent le passé impérial du pays et de nombreux travaux sont consacrés à Soliman le Magnifique. Au-delà du milieu académique et intellectuel, le sultan devient en Turquie l'un des personnages les plus populaires.

Les sources historiques ne relatent cependant pas vraiment quel était le caractère du sultan. Dans la série, son portrait est donc construit de manière fictive. On a parfois l'impression que son personnage est plutôt un prétexte pour pouvoir dérouler une histoire d'amour au XVIe siècle et donc créer un produit télévisuel qui soit nouveau et qui se différencie d'autres soap operas. L'idée que Soliman était quelqu'un de juste est cependant respectée.

Figures féminines

Intrigues de palais

Bien que Soliman apparaisse dans tous les épisodes des quatre saisons de la série, le téléspectateur a parfois l'impression qu'il n'est qu'un personnage secondaire par rapport aux figures féminines qui sont les vrais piliers de la série.

Parmi les personnages principaux, le plus important est certainement Hürrem, favorite du sultan qui va devenir son épouse officielle et la mère de cinq de ses enfants. La mère du sultan qui le conseille et Mahidevran, ancienne favorite du sultan et la mère du prince héritier, ont aussi une place importante.

The Historians - Le siècle magnifique - Figures féminines et intrigues de palais
The Historians - Le siècle magnifique - Figures féminines et intrigues de palais / RTS Découverte / 4 min. / le 15 octobre 2018

Ce rôle prépondérant des femmes dans les intrigues de l'empire est partiellement attesté par les sources historiques. Elles ne parlent pas des rivalités entre les concubines, mais soulignent le rôle important que Hürrem a eu au palais et de l'influence qu'elle a exercée sur le sultan.

Selim II

Son influence est tellement grande qu'Hürrem fera tuer le prince héritier, qui était le fils de Soliman et de sa première concubine, et à faire en sorte que ses enfants arrivent jusqu'au trône.

Au final c'est Selim II, troisième fils de Soliman et de Hürrem, qui prendra le pouvoir après la mort de son père. Il reçut le surnom d' "ivrogne" et n'a pas gouverné longtemps. Certains historiens considèrent d'ailleurs que c'est à partir de son règne que le déclin de l'Empire ottoman, qui se terminera par sa dissolution au 20e siècle, commence.

La réhabilitation du passé ottoman

Un pan oublié de l'histoire turque

À l’instar de la Russie et de son héritage tsariste, la Turquie moderne a mis beaucoup de temps avant de se réconcilier avec son passé impérial. "Le Siècle magnifique" témoigne de cet intérêt populaire inédit pour ce pan oublié de l'histoire turque.

The Historians - Le siècle magnifique - La réhabilitation du passé ottoman
The Historians - Le siècle magnifique - La réhabilitation du passé ottoman / RTS Découverte / 5 min. / le 15 octobre 2018

La République turque, née en 1923 suite à l'effondrement de l'Empire ottoman, a créé une rupture avec son passé. Tout ce qui était ottoman ou lié au palais royal et à la Sublime Porte d'Istanbul a commencé à être censuré. Il faut attendre 1980 pour que l'on puisse recommencer à parler du passé impérial.

Lorsque la série sort en 2011, le contexte politique turc est donc tout à fait favorable. De plus, la Turquie entretient alors de bonnes relations diplomatiques avec les autres pays de la région du Moyen-Orient et des Balkans, ce qui garantit la diffusion de cette série dans de nombreux pays.

Succès et critiques

"Le Siècle magnifique" connaît un succès public avéré par un nombre record de téléspectateurs dans de nombreux pays. Mais une partie de la société civile turque et étrangère n'accepte pas la volonté de la série de vulgariser et de populariser le passé impérial.

De plus, la série montre le règne de Soliman comme une époque de paix, un âge d'or, non seulement à Istanbul, mais également dans les autres régions soumises. Dans certains pays qui faisaient autrefois partie de l'Empire ottoman comme la Serbie, la Grèce ou d'autres pays du Moyen-Orient, on n'apprécie pas que le sultan Soliman soit montré comme un bienfaiteur alors qu'il est considéré par certains comme un oppresseur.

En Turquie, le Premier ministre de l'époque se plaint du fait que la série montre le sultan la plupart du temps dans le palais et non pas sur le dos d'un cheval. Cette première critique lance les hostilités. Plusieurs membres d'associations ou de partis politiques de droite et d'extrême droite montent ainsi au créneau contre la série.

Des manifestations s'organisent pour demander l'interruption immédiate de la diffusion de la série. Mais le seul succès que les détracteurs obtiennent est la suppression de la série dans les avions de la Turkish Airlines.

Un soap opera à l'orientale

Paradoxe étrange

"Le Siècle magnifique" constitue un paradoxe étrange: la série exploite la nostalgie ottomane tout en empruntant des codes occidentaux pour la représentation du monde oriental. La série sera d’ailleurs en Turquie le point de départ de multiples dérivés télévisuels combinant cette caractéristique.

The Historians - Le siècle magnifique - La réhabilitation du passé ottoman
The Historians - Le siècle magnifique - Un soap opéra à l'orientale / RTS Découverte / 5 min. / le 15 octobre 2018

Timur Savci affirme s'être inspiré de la série anglaise à succès "The Tudors" et admet avoir inséré des éléments et des anecdotes qui n'ont peut-être aucune correspondance historique, mais qui servent à pimenter le scénario et à captiver le public.

Les producteurs de la série ont voulu occidentaliser une série turque en choisissant de suivre les codes d'une mise en scène souvent adoptée en Europe et aux Etats-Unis pour les séries historiques. Mais ils n'ont pas hésité à insérer des éléments orientaux qui plaisent beaucoup au Moyen-Orient et dans toutes les régions alentour.

Avant "Le Siècle magnifique", l'industrie télévisuelle turque avait déjà une forte tradition et une grande expertise dans le soap opera, un genre qui avait été exporté dès 2005 dans les pays de la région. Au moment de créer "Le Siècle magnifique" en 2011, les producteurs ont choisi de surfer sur la vague de nostalgie ottomane qui se répandait dans le pays et de croiser cet élément avec leur expertise du soap opera.

Source d'inspiration

La série, qui s'est arrêtée en 2014 après quatre saisons, inspira par la suite d'autres productions télévisuelles et cinématographiques comme le film "Fetih 1453 ("Constantinople") ou des séries qui racontent d'autres moments du passé impérial de la Turquie.

Tant que c'étaient les chaînes privées qui produisaient ces séries, les règles des scénarios étaient les mêmes que celle du "Siècle magnifique".

La situation va changer après 2013, lorsque la chaîne étatique TRT choisit, elle aussi, de produire sa propre série historique. Les scènes de guerre et de combat ainsi que les intrigues politiques sont alors mises au premier plan laissant en arrière-plan les histoires d'amour entre les personnages.

Crédits

Photographies: TIMS Productions

Réalisation web: Andréanne Quartier-la-Tente

RTS Culture

Octobre 2018