"Opération Dragon", la révolution du film d'art martial

Grand Format

Archives du 7e Aart / Photo 12 /AFP

Introduction

Le film réalisé par Robert Clouse en 1973 a fait de Bruce Lee une star internationale. Son orchestration des combats a révolutionné ce genre cinématographique et créé un engouement pour les arts martiaux dans le monde.

Chapitre 1
Un modèle pour tous les films d'arts martiaux

"Opération Dragon", "Enter The Dragon" en anglais, est un film aux actions chorégraphiées époustouflantes. L’orchestration des combats, laissés à Bruce Lee, révolutionne le genre et devient un modèle pour tous les films ultérieurs d’arts martiaux et pour tous les jeux vidéo. Réalisé par Robert Clouse en 1973, "Opération Dragon", reprend à la mode hollywoodienne, les codes des films de Hong Kong.

En dehors d'un scénario un peu bancal, c’est surtout l’engouement qui va suivre le film qui est intéressant. D’autant que Bruce Lee disparaît prématurément laissant ses fans sous le choc. En 1973, au moment où le film arrive sur les écrans, Bruce Lee est déjà mort depuis 3 semaines. Il avait 33 ans.

Les rumeurs entourant sa mort d’un œdème cérébral circulent, contribuant encore à ancrer Bruce Lee dans la légende du cinéma.

Chapitre 2
Synopsis et début de projet

Archives du 7eme Art / Photo12/AFP

"Opération Dragon" raconte l'histoire de Lee, un membre du temple Shaolin. Il est contacté par la police qui lui propose une mission: se rendre seul et sans armes à feu dans l’île d’un certain Han. Ancien moine Shaolin, c'est un homme puissant et cruel qui vit du trafic d’opium et de la traite des femmes.

Lee a pour mission de s’introduire sur l’île à la faveur d’un tournoi d’arts martiaux organisé une fois tous les trois ans pour enquêter sur les lieux et si possible rapporter des preuves pour réduire à néant le royaume de ce despote sanguinaire.

Lee, devenu agent secret, détourne les attributs de 007, et s’en va récolter des preuves. Mais il se rend compte assez vite que ce sont les hommes de Han qui, trois ans plus tôt, ont tenté de violer sa sœur. Celle-ci s’est suicidée. L’affaire prend alors un tour tout à fait personnel. Le dragon devient fureur.

Ça peut nous sembler banal aujourd’hui d’aller voir un film de kung-fu, ou un autre film d’action qui propose des scènes de combats à mains nues, ou à pieds nus, avec des grands gestes, des sauts, et des frappes énergiques.

Il a fallu pourtant du temps pour que ce cinéma particulier, où le mouvement est souvent plus important que les histoires racontées, soit reconnu pour son importance historique, sa valeur esthétique et cinématographique.

C’est un univers typé, guerrier, parlant à un public asiatique et à toutes les minorités.

Ce cinéma, créé loin d’Hollywood, devient rapidement populaire en Chine, puis dans toute l’Asie. Et c’est à ce moment-là, quand les films d’arts martiaux commencent à générer de l’argent, et qu’un public américain de plus en plus grand va les voir dans les salles spécialisées, qu’Hollywood s’y intéresse.

Mais l’Asie, pour autant, n’arrête pas sa production. La seule chose qui change, c’est que des producteurs occidentaux y mettent leur grain de sel.

"Opération dragon" [Archives du 7eme Art / Photo12/AFP]
"Opération dragon" [Archives du 7eme Art / Photo12/AFP]

Bruce Lee, qui a un pied en Amérique et un à Hong Kong, est la figure idéale pour faire le lien. Quoiqu’au milieu des années 60, Bruce Lee soit encore trop chinois. Un héros chinois ça n’existe pas… du moins pas encore en Occident.

Les Chinois que l’on voit dans les films et les séries sont souvent des blancs à qui on bride les yeux. Le racisme est très présent à Hollywood.

L'acteur Bruce Lee dans "Opération Dragon". [Archives du 7eme Art / Photo12/AFP]
L'acteur Bruce Lee dans "Opération Dragon". [Archives du 7eme Art / Photo12/AFP]

Quand je tourne des films chinois, je fais de mon mieux pour ne pas faire trop américain, car j’ai passé 12 ans aux Etats-Unis. Mais quand je retourne aux Etats-Unis, c’est le contraire, je suis trop exotique.

Bruce Lee dans le "Pierre Berton Show" en 1972

On refuse à Bruce Lee le rôle principal dans une série kung-fu qu’il a lui-même écrite pour la Warner télévision pour l’offrir à David Caradine, un blanc.

Dégoûté par cet échec américain, Bruce Lee retourne à Hong Kong où il enchaîne des films pour le producteur Raymond Chow dont "Big Boss" (1971) et "La Fureur de vaincre" (1972). La gestuelle incroyablement érotique de Bruce Lee allie harmonie, brutalité et efficacité. L’Amérique se réveille et le veut absolument! Ce sera "Opération Dragon", produit par la Warner.

Ce film est l'adoubement suprême de l’intégration par Hollywood du cinéma d’arts martiaux. Un étrange objet filmique un peu hybride où les conventions chorégraphiques du kung-fu se mêlent à diverses péripéties feuilletonesques qui évoquent les films de James Bond. Le film est une synthèse habile des codes occidentaux et orientaux.

On y mettra aussi d’autres exclus. Car le héros chinois est secondé par un karatéka blanc, John Saxon, et d'un acteur noir. Jim Kelly est ce grand escogriffe à la coupe afro et rouflaquettes qui donne de solides coups de mains et de pieds à Bruce Lee dans le film. Il fait carrière dans l’ébullition de la blaxploitation où son élégance cool, ses muscles saillants et son karaté aérien l’installent au panthéon du genre.

Les acteurs John Saxon (à gauche) et Jim Kelly dans le film "Opération Dragon". [Archives du 7eme Art / Photo12/AFP]
Les acteurs John Saxon (à gauche) et Jim Kelly dans le film "Opération Dragon". [Archives du 7eme Art / Photo12/AFP]

Au final, c’est le public des minorités, émigrées ou non, du monde entier qui se reconnaît dans le cinéma chinois d’arts martiaux et s’identifie face à la majorité blanche. Il y a à la fois la revanche d’une culture populaire et la récupération de celle-ci.

"Opération Dragon" possède, qu’on le veuille ou non, une certaine revendication et une connotation politique et sociale. Mais surtout, "Opération Dragon" installe le genre en Occident et gagne ses lettres de noblesse. Le film marque l’histoire du cinéma. Il y aura un avant et un après. On ne peut plus filmer des bagarres comme avant Bruce Lee.

Chapitre 3
Bruce Lee

Archives du 7eme Art / Photo12/AFP

Bruce Lee naît à San Francisco le 27 novembre 1940. Son père est une figure de l’opéra de Canton. Il est alors en tournée. L’enfant naît dans le Chinatown de Frisco, précisément à l’hôpital chinois de San Francisco. Il naît l’année du Dragon et cela deviendra son emblème.

En février 1941, la famille retourne à Hong Kong. Bruce Lee passe son enfance sur les scènes. C’est un acteur né. Il est agile, il a une présence et il est extrêmement doué. Entre 1948 et 1959, il tourne dans pas moins de 23 films. Mais Bruce Lee est également bagarreur. Leader de petits groupes de gamins, il est vite approché par la mafia chinoise pour rejoindre des gangs.

Son salut viendra de la canalisation de toute son énergie négative par la pratique intensive d’un sport. A 13 ans, il débute le Wing Chun, une forme de kung-fu. Ce sera sa voie.

>> A écouter: l'émission "Travelling" consacrée au film :

Une scène du film "Opération Dragon" de Robert Clouse, 1973. [AFP - Archives du 7eme Art]AFP - Archives du 7eme Art
Travelling - Publié le 9 septembre 2018

En 1959, il débarque à San Francisco où il veut faire carrière comme acteur. Mais à Hollywood dans les années 60 et 70, on n’aime pas les étrangers. Bruce Lee étudie alors la philosophie à l’université de Washington, se marie et fonde une famille.

Il va réussir néanmoins à s’imposer là où on ne veut pas de lui. Dans des séries télé, comme second rôle. Par exemple "Le Frelon vert" où il occupe l’espace, irradie dans chacun de ses plans et dégage une présence magnétique.

Il y a bien des acteurs et réalisateurs qui sont plus ouverts: James Coburn, Roman Polanski, Steve McQueen et James Garner qui deviendront ses amis et ses disciples aussi. Car Bruce Lee a ouvert une école d'arts martiaux dès 1964.

Il y enseigne son propre kung-fu, le Jeet kune do, (la voie du poing qui intercepte), adoptant des techniques empruntées à divers sports de combat pour être plus fluide.

Quand son film hongkongais "La Fureur de Vaincre" est remarqué par Hollywood, Bruce Lee propose une adaptation possible des contenus et des styles. Une co-production entre Hong-Kong et Hollywood. Du jamais vu.

Avec "Opération Dragon", Bruce Lee devient le premier acteur chinois en tête d’affiche sur un film hollywoodien.

Chapitre 4
Le kung-fu de Bruce Lee

Warner Bros / Concord Production / Collection ChristopheL/AFP

Le kung-fu est un art martial chinois à ne surtout pas confondre avec le karaté japonais. Il utilise des techniques de médiation et de respiration des différentes racines philosophiques bouddhistes et taoïstes.

Bruce Lee pioche aussi son style acrobatique dans plusieurs disciplines autres que le kung-fu chinois parmi lesquelles le taekwondo coréen, le karaté japonais et la boxe occidentale.

Il se dépasse constamment et s'entraîne jusqu'à l'épuisement total. Il travaille du lundi au samedi, du matin au soir. Toujours des nouveaux mouvements. Il travaille jusqu’au saignement de ses jointures.

L’entraînement terminé, il regarde la télévision les jambes légèrement surélevées, ou en lisant un livre d’une main et en soulevant un poids de l’autre. La fluidité de ses mouvements devient sa marque de fabrique. La vitesse également.

Robert Clouse, réalisateur du film "Opération Dragon". [Archives du 7eme Art / Photo12/AFP]
Robert Clouse, réalisateur du film "Opération Dragon". [Archives du 7eme Art / Photo12/AFP]

Sur le tournage, il est si rapide qu’on lui demande de ralentir un peu les mouvements pour que la caméra puisse les saisir. Chaque fois, le combat échappe à l’œil et le spectateur est toujours en retard.

C'est la réalisation de Robert Clouse qui va ancrer l’esthétique des combats de Bruce Lee. Car Robert Clouse filme en plan large, laissant la chorégraphie de l’athlète envahir l’écran.

Avant, dans les films de kung-fu, les combats étaient essentiellement des constructions artificielles rendues possibles par un montage court et morcelé. Au contraire, dans "Opération dragon", on a souvent recours à des plans d’ensemble. Les adversaires se mesurent de chaque côté du cadre et s’affrontent jusqu’à l’effondrement d’un, voire de plusieurs corps.

C’est dans la durée du plan que se respecte alors la continuité des enchaînements et que s’enregistre l’effort physique où la puissance se combine à l’harmonie.

Une scène de combat dans le film "Opération Dragon". [Warner Bros / Concord Production /Collection ChristopheL/AFP]
Une scène de combat dans le film "Opération Dragon". [Warner Bros / Concord Production /Collection ChristopheL/AFP]

Chapitre 5
Mort de Bruce Lee et sortie du film

AFP - Robyn Beck

Bruce Lee est un homme qui ne ménage pas sa peine. Au moment du tournage d’"Opération Dragon", le comédien ne semble pas en excellente santé. Il paraît amaigri. Il faut dire qu’il ne pèse plus que 55 kilos pour 1m70.

Son corps ne comporte plus que ses os et ses muscles. Il a moins de 1% de masse graisseuse. Les médecins l’ont pourtant autorisé à poursuivre le tournage. Mais, par moment, il perd la mémoire. Pour les besoins du film, Bruce Lee effectue des entraînements intensifs très éprouvants. Il va au bout de lui-même. S’épuise.

Il a le dos blessé, des douleurs lombaires qu’il traîne depuis trois ans. Il passe outre, continue de s’entraîner. Il a déjà hospitalisé dans un état grave quelques mois auparavant.

Un soir, un mal de tête l’oblige à s’aliter. Nous sommes le 20 juillet 1973. Il est chez sa maîtresse. Et puis c’est le drame. L’acteur sombre dans le coma, après avoir absorbé un antidouleur. Il est transporté à l’hôpital. Il y meurt d’un œdème cérébral. Il avait 33 ans.

"Opération Dragon", un film de Robert Clouse (1973). [Archives du 7eme Art / Photo12/AFP]
"Opération Dragon", un film de Robert Clouse (1973). [Archives du 7eme Art / Photo12/AFP]

La planète est sous le choc. Le légiste conclut à une mort accidentelle. Mais cette conclusion nourrit les spéculations et les rumeurs selon lesquelles des drogues et d’autres facteurs pourraient être impliqués. On parle même d’assassinat.

Pour les uns, Bruce Lee a été tué par des moines Shaolin qui ne lui pardonnent pas d’avoir révélé les secrets du kung-fu aux étrangers. Pour les autres, c’est la mafia de Hong Kong, ou un producteur jaloux. Pour d’autres encore, c’est la vibration qui tue ou les dieux chinois qu’il aurait offensés. Pour la presse, une affaire de drogue ou un mensonge publicitaire destiné à lancer son prochain film.

"Opération Dragon" sort donc sur les écrans sans la présence physique et charismatique de Bruce Lee le 26 juillet 1973 à Hong Kong, et le 19 août aux Etats-Unis. L’acteur devient une superstar internationale.

L'affiche du film "Opération Dragon" de Robert Clouse. [Archives du 7eme Art / Photo12/AFP]
L'affiche du film "Opération Dragon" de Robert Clouse. [Archives du 7eme Art / Photo12/AFP]

Chapitre 6
Les suites, remakes et héritages

La mort de Bruce Lee va sceller son statut d’icône et son héritage est finalement plus important que sa courte carrière internationale.

Suite à son décès, Raymond Chow, le patron de la Golden Harvest, son premier producteur, récupère les rushes du "Jeu de la mort", le film en chantier, conçu et chorégraphié par Bruce Lee, qu’il avait commencé à tourner avant de faire "Opération Dragon" et qu’il devait terminer juste après.

Bruce Lee dans le film "Le jeu de la mort" de Robert Clouse. [Concord Productions Inc / Columb / Collection ChristopheL/AFP]
Bruce Lee dans le film "Le jeu de la mort" de Robert Clouse. [Concord Productions Inc / Columb / Collection ChristopheL/AFP]

Ce film raconte le voyage initiatique d’un jeune guerrier chargé de combattre, dans une pagode allégorique le grand maître d’un art martial à chaque étage.

Incapable évidemment de boucler le projet, le producteur Chow, aidé de Robert Clouse, imagine un abracadabrant scénario pour accommoder les rushes de la star défunte.

Au mieux cela donne deux scènes de combat exceptionnelles. Au pire, des combats dans une quasi-obscurité, pour cacher les doublures et des rebondissements grotesques où le supposé Bruce Lee est affublé d’une barbe épaisse, de lunettes noires, de bandages façon homme invisible ou même d'un casque de moto.

Tout le monde veut s’approprier à présent le mythe du petit dragon. De Taiwan aux Philippines en passant par l'Indonésie (et même par Hong Kong), des producteurs peu scrupuleux engagent des pseudo sosies de Bruce Lee pour tourner des films de kung-fu. Il y en a tellement de ces films nullissimes, plus de 120, que cela crée même un genre à part entière: le "fake-Lee-flick".

Dans un registre plus sympathique, c’est le kung-fu, l’école de Bruce Lee en particulier qui va faire des émules. Partout dans le monde, les clubs d’arts martiaux affichent complet.

Les combats, l’iconographie, les chorégraphies signés Bruce Lee s’inscrivent dans l’histoire du cinéma. Les jeux vidéo comme Mortal Kombat s’inspireront d’"Opération dragon".

Bruce Lee n’est plus. Mais son image et son style sont toujours vivaces et continuent d’alimenter le cinéma.

Quentin Tarantino, grand fan de Bruce Lee, s’est inspiré d’un de ses costumes pour vêtir Uma Thurman dans "Kill Bill". La combinaison jaune et noire est une référence directe au "Jeu de la mort", le film posthume de Bruce Lee.