"Zorba le Grec", une carte de visite pour la Crète

Grand Format Cinéma

Introduction

"Zorba le Grec", de Michael Cacoyannis, est sorti en 1964. Adapté du roman de Nikos Kazantzakis, le film va au-delà des clichés qui font fantasmer les touristes. Michael Cacoyannis sait montrer le ciel et la terre, l'amitié inébranlable, tout un posant un regard critique sur la Grèce des années 1960. Découverte d'un chef d'oeuvre.

Chapitre 1
Le roman avant le film

Le film est tiré d'un roman de Nikos Kazantzakis intitulé "Alexis Zorba", publié en 1946, traduit en français dès 1947. Étonnamment, le roman ne paraît en Grèce qu'en 1954.

Kazantzakis y dépeint les habitants de la Crête sous des couleurs peu engageantes. Un village qui a ses propres lois, ses guerres internes et les envies de chacun.

On y assiste au pillage de la maison de la prostituée au moment de sa mort et à la lapidation d'une jeune veuve. C'est dur, violent.

Mais derrière la dénonciation de l'esprit villageois, Kazantzakis, auteur du "Christ recrucifié", propose une leçon de vie. Vivre n'est pas subir, mais au contraire, savoir aimer ou oublier, s'engager et, au-delà des péripéties de l'existence, rester fidèle à une morale, qui, même si elle n'est pas celle de tous, est la sienne.

L'écrivain est d'abord un poète épique, puissant, à l'humour magistral. Quand il met en scène son jeune intellectuel qui a tout lu, il met en scène quelqu'un qui n'a pas vécu. Il n'a pas lu le livre de la vie, celui que seule offre l'expérience. Celui que lui offrira Zorba.

[AFP - Collection Roger-Viollet]

Zorba le faune, la bourrasque, Zorba qui s'enthousiasme, Zorba le sage qui a tout compris sans jamais avoir appris, qui vit et ne réfléchit qu'après.

Le film se termine différemment du roman avec une danse sur la plage, tandis que dans le roman, le héros repart, avec dans sa tête et dans son cœur toute la matière d'un livre.

On a souvent dit que Zorba était le portrait craché de l'auteur du livre. C'est peut-être vrai. Car Kazantzakis avait pour lui un regard joyeux et doux, le rire haut et une force prodigieuse.

Le réalisateur Cacoyannis s'inspire de Kazantzakis pour son personnage de Zorba. Mais la veuve de l'écrivain n'est pas d'accord avec cette idée. Nikos Kazantzakis serait plutôt Basil, le jeune Anglais, engoncé dans son intellectualisme. Car l'auteur est torturé par la recherche de l'absolu, du verbe, du mot, de la pureté. Son roman célèbre ici la victoire de l'instinct sur l'intelligence.

Pour Michael Cacoyannis, c'est un roman amer, une tragédie grecque. Personne ne s'en sort. L'amour et l'innocence sont détruits. Mais le film entre dans l'histoire du cinéma comme un magnifique ode à la vie et non pas une tragédie.

AFP

Chapitre 2
Synopsis

Il pleut sur le Pirée. Un jeune écrivain, Basil, amer, désabusé, à demi-anglais, attend docilement le départ de son bateau pour la Crète. Il retourne sur l'île exploiter une mine de lignite dont il a hérité.

Survient Zorba. Un colosse qui l'aborde et lui propose ses services. Basil accepte. Les deux hommes s'associent, s'installent alors dans l'hôtel du village tenu par une ancienne prostituée, madame Hortense. Elle est vite séduite par l'humour, la générosité, les excentricités de Zorba. Tout le monde est séduit par cette force de la nature.

[AFP]

Zorba aime rire, boire et chanter. Basil est plus réservé, coincé par son éducation.

La remise en état de la mine pose quelques problèmes. Mais Zorba est là, fidèle, inventif. Il veut construire un téléphérique qui reliera la mine à la plage. C'est un échec. Mais Zorba fait avec.

Le film se termine sur la plage. Les deux hommes rient et Basil finit par lui demander de lui apprendre à danser le sirtaki.

Chapitre 3
Michael Cacoyannis

D'abord, Michael Cacoyannis est un contestataire. Comme son compatriote Nikos Kazantzakis, il s'est opposé au régime des colonels, ce régime mis en place après le coup d'état de 1967. Il s'est aussi opposé à l'occupation turque de la moitié de son île, Chypre.

En 1975, il fera un film là-dessus, "Attila, 1974", un documentaire sur l'invasion turque de l'île.

Ensuite, c'est un intellectuel. Fils d'un avocat chypriote célèbre, il fait des études de droit à Londres. Quand vient la guerre, il rejoint le service grec de la BBC.

La soprano grecque Maria Callas en compagnie du réalisateur Michael Cacoyannis en 1975. [AFP]

Et puis, Michael Cacoyannis, c'est aussi un acteur. Un travail qu'il fait à l'insu de sa famille. Il tient le rôle-titre du "Caligula" d'Albert Camus en 1949. Mais il préfère la mise en scène. Il rentre en Grèce, réalise "Stella, femme libre", premier long métrage réalisé au culot. Le film révèle Mélina Mercouri en 1955.

Le réalisateur continue de travailler en Grèce, travaille sur des pièces et des films et acquiert la reconnaissance internationale avec "Electre", adapté d'Euripide. Présenté à Cannes, le film remporte le Prix de la meilleure transposition cinématographique avant d'être nommé à l'Oscar du meilleur film étranger.

Et puis, viendra "Zorba le Grec". Et là, c'est l'apothéose. Un immense succès international.

Chapitre 4
Le succès du sirtaki

C'est une histoire assez particulière que celle de la musique de "Zorba le Grec". Une musique adaptée du folklore local par Míkis Theodorákis et qui devient célèbre dans le monde entier sous le nom de sirtaki.

Míkis Theodorakis est né sur l’île de Chios en 1925. C'est un artiste prolifique qui domine la scène grecque dès la fin de la seconde guerre mondiale. Il est connu pour ses musiques de film, comme pour ses chansons. On lui devrait près de 1'000 mélodies pour des hymnes, des opéras, des ballets, musique symphonique ou musique de chambre.

[AFP - Pierre Verdy]

Pour composer la musique si connue du film, Míkis Theodorakis va combiner une musique traditionnelle grecque avec le rebetiko, d'inspiration plus orientale. Il va jouer des instruments propres aux minorités turques, le bouzouki, une sorte de guitare à corde pincée, et le baglama, d'origine slave. Cette musique sera nommée sirtaki, diminutif du grec syrtos désignant un groupe de danses grecques.

La musique servira de rythme à une chorégraphie très inspirée de Jean Vassilis et dont le film popularisera les mouvements dans le monde entier.

AFP - Archives du 7eme Art

Chapitre 5
Anthony Quinn en Zorba

Pour incarner la force vivante de son film, Michael Cacoyannis va engager Anthony Quinn. Il est Zorba le Grec, ce géant à l'appétit d'un jeune homme de 25 ans qui a vu et connu toutes les misères du monde et dont l'enthousiasme pour l'humanité n'a jamais décru.

"Dès que j'ai lu le roman de Kazantzakis, j'ai voulu être Zorba, se souvient Anthony Quinn, car j'ai trouvé dans le personnage une foi, une chaleur humaine, un amour de la vie en un mot qu'aucun acteur au monde n'a le droit de laisser passer."

[AFP - Twentieth Century Fox Film Corpo]

Ainsi, en 1964, Anthony Quinn, 49 ans, se rend en Crête. Comme il est passé par l'Actor's Studio, qui prône l'immersion dans un personnage, Anthony Quinn croit énormément à la préparation d'un rôle et n'hésite pas faire les expériences les plus diverses pour rentrer totalement dans la peau de son personnage.

Avant le tournage de "Zorba le Grec", il passe deux semaines à parcourir les petits villages grecs et particulièrement leurs cafés. Il veut s'imprégner de l'ambiance, pour savoir et apprendre comment devra se comporter son personnage.

AFP

Chapitre 6
Le tournage

Le film se tourne en Crète dans les paysages naturels, dans les villages, sur la plage. Aucun décor hollywoodien ne peut remplacer le ciel ni la mer. Tout naturellement, le décor fourni à ses personnages principaux les arrière-plans humains nécessaires à la véracité de l'histoire.

Cacoyannis n'hésite pas à recruter sur place toute la figuration et tous les petits rôles. Car qui, dans un court passage sur l'écran, sait mieux évoquer la silhouette d'un pêcheur ou d'un paysans qu'un vrai pêcheur ou un vrai paysan.

C'est le chef opérateur Walter Lassally qui s'occupe de rendre à l'écran la lumière exceptionnelle de la Crète. Le tournage se passe bien. Tout le monde est heureux.

>> A écouter, l'émission "Travelling" consacrée au film :

Une scène du film "Zorba le Grec" de Michael Cacoyannis (1964). [AFP - Twentieth Century Fox Film Corpo]AFP - Twentieth Century Fox Film Corpo
Travelling - Publié le 10 juin 2018
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Chapitre 7
La sortie du film

En 1965, "Zorba le Grec" est partout. Dans les restaurants, les gares, les supermarchés, dans les campings. Absolument partout. Car à la radio, on entend la musique du film, on danse le sirtaki, on casse des assiettes chez les gens. Tout le monde s'amuse. On célèbre la vie. On adore Zorba.

Tout le monde veut aller en Crète rencontrer ce personnage unique en son genre. Ce faune, libre et amoureux. Le film vit sa vie, ancre les personnages dans l'imaginaire collectif. Il devient une carte de visite pour la Crète. Il incarne même aux yeux du monde LE cinéma grec.

Le film est nommé aux Oscars de 1965 dans plusieurs catégories: meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleure adaptation, meilleure direction artistique, meilleure photographie, meilleure actrice de second rôle.

Zorba le Grec recevra notamment l'Oscar de la meilleure direction artistique pour Vassilis Photopoulos et de la meilleure photographie pour Walter Lassally.

L'affiche du film "Zorba le Grec" de Michael Cacoyannis, sorti en 1964. [AFP - Twentieth Century Fox Film Corpo]