Publié

La cinéaste Claire Simon, sacrée "maître du réel 2018"

La réalisatrice Claire Simon lors de la Berlinale 2018. [Keystone - Jens Kalaene]
Claire Simon: "Il y a une haine de classe entre le documentaire et la fiction" / Nectar / 53 min. / le 17 avril 2018
Le festival Visions du Réel, à Nyon, jusqu'au 21 avril, consacre une rétrospective sur la cinéaste française Claire Simon, fine observatrice du réel qui adore filmer ce que le cinéma ne montre presque jamais.

Plus c'est proche, moins on le voit. Née en Grande-Bretagne, Claire Simon se distingue des autres cinéastes par le regard qu'elle pose sur ce qui est souvent invisible à l'écran, parce que trop intime ou trivial.

Scénariste, actrice, directrice de la photographie, elle est venue au cinéma par le biais du montage, puis du court-métrage. Avec elle, la frontière entre documentaire et fiction est tellement ténue que son oeuvre en devient troublante, voire dérangeante. Visions du Réel, jusqu'au 21 avril, l'a sacrée "maître du réel" et lui a laissé carte blanche pour une Masterclass.

Montrer ce que le cinéma occulte

C'est avec "Scènes de ménage" (1991) que Claire Simon se fait remarquer. Construit en dix modules de 4 minutes qui raconte chacun une activité domestique, le film met en scène une femme au foyer (Miou-Miou) qui pense à haute voix sa vie conjugale, tout sauf idéale. Un an plus tard, "Récréations" témoigne de la cruauté des cours d'école.

Attachée à montrer ce que le cinéma en général occulte, elle offre avec "Coûte que coûte", chronique d'une faillite annoncée, une réflexion sur l'argent et le travail.

En 1997, elle passe à la fiction avec "Sinon, oui", inspirée de l'histoire vraie d'une femme qui s'invente une grossesse. En 2008, elle réalise "Les Bureaux de Dieu", autre exemple de son rapport au réel. Pendant dix ans, Claire Simon a assisté à des séances de planning familial. Ne pouvant pas filmer, elle a tout noté, et tout réécrit avec des actrices, dont Nathalie Baye, Isabelle Carré et Béatrice Dalle.

Un procédé qu'elle reprend en 2013 avec "Gare du Nord" (2013), inspiré de faits réels, raconté sur le mode de la comédie dramatique, et filmé comme un reportage.

Elle revient au documentaire pur, terriblement vivant et cruel, avec "Le Concours" où la cinéaste filme les coulisses de la Femis, grande école de cinéma très sélective. 

Les gens du cinéma, comme les banquiers, sont les plus difficiles à filmer; ils ne veulent pas laisser voir les coulisses de leur industrie.

Claire Simon, documentariste

Haine de classe

Dans les années 80, elle a beaucoup milité pour la reconnaissance du documentaire de création, notamment aux côtés de Raymond Depardon. Aujourd'hui, elle ne mâche pas ses mots. Pour elle, la télévision française est nulle et la haine de classe entre le documentaire et la fiction ne cesse de croître. 

Financer un documentaire est très difficile. J'ai obtenu très souvent l'avance sur recettes pour mes fictions mais chaque fois que je présente un projet documentaire, je ne passe même pas la première étape.

Claire Simon, documentariste

Cette difficulté pousse à l'inventivité. Pour Claire Simon, c'est la raison pour laquelle le documentaire est plus vivant, plus singulier, plus riche en nouvelles écritures. A l'image de son dernier travail, "Première solitude", consacré aux élèves du lycée Romain Rolland d'Ivry, un film salué à la dernière Berlinale.

L'expérience de Lussas en Ardèche

Cette vivacité du documentaire, un village en France en témoigne: Lussas, en Ardèche. Une quarantaine de personnes travaille en ce moment au lancement d'une plate-forme documentaire qui compte produire entre 100 et 120 films de création. Claire Simon y tourne une série de seize épisodes, intitulée "Le commerce et la vertu". Un premier montage sera projeté à Visions du Réel.

Propos recueillis par Raphaële Bouchet

Réalisation web: Marie-Claude Martin

La Cinémathèque consacre une rétrospective à Claire Simon jusqu'au 30 avril. Tout le programme du Festival Visions du Réel

Publié