"La Nuit de l'iguane", film fiévreux

Grand Format

Photo 12 / AFP - Wolf Tracer Archive

Introduction

Adapté d’une pièce de Tennessee Williams, le film de John Huston sorti en 1964 met en scène quatre destins qui s’entrecroisent et se déchirent dans la jungle mexicaine au cours d’une nuit fiévreuse.

Synopsis

Larry Shannon, pasteur alcoolique, est suspendu de son ministère pour une affaire de mœurs. Aigri, il devient guide touristique au Mexique où il escorte un groupe d'enseignantes américaines, vieilles filles sur les bords. Dans le car qui les emmène se trouve également une nymphette, Charlotte Goodall, qui trouve l’ancien pasteur très à son goût et le poursuit de ses avances. La lolita est charmante et l’homme est faible. Un nouveau scandale s’ensuit. D’autant que la responsable des voyageuses nourrit pour la gamine des sentiments très équivoques.

Pour éviter d’être au chômage, le pasteur égare ses touristes dans un hôtel de la côte mexicaine où il espère l’appui du propriétaire, Fred.

Sur place, il apprend que celui-ci est mort. Mais sa veuve, Maxine, une fort belle femme au tempérament de feu, tient l’établissement. Elle-même vit avec deux bellâtres mexicains, ses toy boys. Mais le destin est décidément farfelu, puisque dans cet hôtel hacienda débarque également un couple fauché, formé d’un poète quasi centenaire et de sa petite fille d’une quarantaine d’années, peintre solitaire.

Dès lors, le film se circonscrit à la découverte par quatre êtres de leur vérité. Le poète, son œuvre achevée, trouve, au bout du chemin, la paix. Tout comme les protagonistes de l’histoire, qui, en une journée et une nuit, finissent par s'évader d’eux-mêmes.

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De la pièce au film

"La Nuit de l’iguane" est une pièce de Tennessee Williams qui est montée à Broadway en 1961. Voyant tout le potentiel cinématographique de celle-ci, le producteur Ray Stark s’empresse d’en acheter les droits. Lorsqu’il propose à Huston de tourner "La Nuit de l’iguane", le réalisateur accepte immédiatement.

John Huston se retrouve dans le personnage du pasteur alcoolique et défroqué. Il est lui-même un grand amoureux des femmes et ses conquêtes sont nombreuses. Il est donc à même de comprendre la psychologie du personnage.

Le réalisateur américain est un homme habile à filmer les quêtes métaphysiques, les obsessions, les déchéances et l’aventure évidemment!

De plus, il est connu pour avoir adapté sur grand écran des écrivains souvent réputés difficiles d’accès. Comme "Le Faucon Maltais", "Key Largo", "Moby Dick". C'est pourquoi Ray Stark lui laisse les pleins pouvoirs quant à l’adaptation.

Le réalisateur transpose l’action en pleine nature. Les personnages de "La Nuit de l’iguane" ne s’affrontent plus dans un lieu clos, mais au cœur d’un jardin luxuriant qui surplombe l’océan. Le décor est paradisiaque, mais la vie infernale.

John est aussi heureux qu’un enfant à Noël. Il adore l’idée de faire un film avec ces personnages névrosés.Ray Stark, producteur

Le choix des acteurs

Pour cette histoire de pasteur défroqué, le producteur et le réalisateur pensent tout de suite à Richard Burton, à Ava Gardner, à Deborah Kerr et à la toute jeune Sue Lyon qui vient de jouer les Lolitas pour Stanley Kubrick.

Deborah Kerr est la première à être approchée par John Huston. Il a déjà travaillé avec elle. Il lui propose un personnage de femme attentionnée, quelque peu hors du monde, s’occupant d’un vieux poète itinérant. C’est un personnage-clé de l’histoire, le seul qui tienne un peu debout. Elle accepte.

Sue Lyon accepte aussi très vite. Elle a tout juste 18 ans. Sa mère et son fiancé devront venir avec elle sur le tournage.

Richard Burton avec les actrices (de gauche à droite) Sue Lyon, Deborah Kerr et Ava Gardner. [Getty Images - Silver Screen Collection]
Richard Burton avec les actrices (de gauche à droite) Sue Lyon, Deborah Kerr et Ava Gardner. [Getty Images - Silver Screen Collection]

Richard Burton adore John Huston. Il accepte de partir pour le Mexique, mais avec Liz Taylor, qui est encore sa maîtresse en 1963. Ils se marieront l’année d’après au moment de la sortie de "La Nuit de l’iguane". Mais ce qu’aucun des protagonistes ne sait, c’est qu’à cause de ces amours adultères, les paparazzis seront de la partie pendant le tournage, à l’affût des moindres dérapages de Liz et de Richard et finalement de tous les acteurs du film.

Richard Burton dans "La Nuit de l'iguane". [Photo12.com - Collection Cinema / AFP]
Richard Burton dans "La Nuit de l'iguane". [Photo12.com - Collection Cinema / AFP]
Ava Gardner dans le film "La Nuit de l'iguane". [AFP - Collection Christophel / Metro Goldwan Mayer]
Ava Gardner dans le film "La Nuit de l'iguane". [AFP - Collection Christophel / Metro Goldwan Mayer]

Pour obtenir l’aval d’Ava Gardner, les choses sont un peu plus compliquées. Pour elle, John Huston doit traverser l’Atlantique. Avec le producteur Ray Stark, ils vont la chercher jusqu’en Espagne où elle s’est établie. A 41 ans, l’actrice est la reine des nuits madrilènes, toujours entourée de fêtards. Huston a déjà pratiqué l'actrice, et essayé de la séduire 18 ans plus tôt, se prenant une veste mémorable.

A Madrid, il retrouve une femme à la beauté mature. Pour Huston, elle est absolument parfaite pour le rôle qu’il veut lui confier, celui de Maxine, la veuve, propriétaire de l’hôtel où tout le monde va s’échouer. Une femme libre et amoureuse, un peu gouailleuse et naturelle.

Quand John Huston lui parle du rôle, elle n’accepte pas tout de suite. Elle veut se faire prier. Huston et Ray Stark s’attardent à Madrid. Finalement après une semaine de fiesta, elle accepte de tourner notamment lorsqu'elle apprend que Deborah Kerr qu’elle déteste sera moins payée qu’elle.

Les salaires reçus par les acteurs donnent le tournis. Ce sont de très grosses sommes à l’époque: 500'000 dollars pour Richard Burton, 400'000 pour Ava Gardner, 250'000 pour Deborah Kerr, 75'000 pour Sue Lyon. Sommes qui augmentent encore pour un tournage en extérieur. A eux seuls, les trois acteurs principaux prélèvent la moitié des trois millions de dollars du film. Mais sans eux, pas de "La Nuit de l’iguane".

Car le mérite de John Huston ne réside pas dans le choix particulièrement heureux de tel ou tel plan. Le décor est là, beau, un peu troublant. La moiteur de la jungle, la nuit tropicale. Mais l’atout du film est avant toute chose l’interprétation des acteurs.

>> Écouter l'émission "Travelling" du 9 avril 2017 :

Sue Lyon et Richard Burton, dans "La Nuit de l'iguane" de John Huston (1964).
Collection Cinema/Photo12
AFP [AFP - Collection Cinema/Photo12]AFP - Collection Cinema/Photo12
Travelling - Publié le 9 avril 2017

Tennessee Williams et John Huston

Avant le tournage, John Huston se rend à Key West où réside le dramaturge Tennessee Williams. C’est une visite de politesse. On discute sans heurts de l’adaptation de la pièce. L'auteur vit alors avec un vieil ami malade, un jeune homme dont il est très amoureux et cinq caniches noirs.

Si John Huston aime les femmes, Tennessee Williams aime les hommes. Chez l'écrivain le monde est peuplé de femmes qui ressemblent à des mantes religieuses. On leur jette des beaux mâles en pâture. Il est le chantre complaisant de l’échec, le héraut de l’impuissance. La guerre des sexes est pour lui toujours une tragédie. Pour John Huston, il y a toujours de l’espoir. Tennessee Williams n’a de goût que pour les univers confinés, irrespirables. Huston est au contraire, un homme épris de nature et de grand air.

Pendant le tournage, Tennessee Williams vient souvent sur le plateau voir l’évolution de son histoire. Il arrive avec son amoureux, Freddy et son caniche favori qui souffre d’insolation. John Huston et Tennessee Williams s’accordent sur tout. Sauf le plus important: la fin du film.

"Tennessee et moi avions souvent discuté de la fin du film. Il avait écrit le rôle de Maxine avec infiniment de compréhension et de tendresse pour en faire finalement une femme-araignée qui dévore son mâle. Tennessee avait noirci le personnage en raison de sa haine personnelle pour les femmes. Je le lui fis remarquer", écrit John Huston dans son autobiographie.

"Je voulais une fin heureuse, non seulement pour plaire au public, mais parce que c’était le dénouement naturel de l’histoire: le pasteur tombe amoureux de Maxine. Il y a de la tendresse. Tennessee protesta. Vous voyez en toute femme une rivale, lui dis-je. Vous ne voulez pas qu’une femme ait une place dans la vie amoureuse d’un homme. Vous avez été injuste avec votre propre création!"

Le tournage

John Huston aime le Mexique. Quand il débarque la première fois à Puerto Vallarta dans les années 40, c’est un village de pêcheurs avec à peine 2000 habitants. Une seule route, impraticable pendant la saison des pluies, relie le village au reste du monde. Mais il y fait beau, la jungle y est puissante et la mer généreuse.

En 1963, il revient à Puerto Vallarta pour y tourner "La Nuit de l’iguane". Avec les acteurs arrivent les curieux et les journalistes. Il faut dire que les rapports personnels entre les protagonistes de "La Nuit de l’iguane" sont passablement embrouillés.

"Richard Burton était accompagné d’Elizabeth Taylor, encore légalement mariée à Eddie Fisher", se souvient John Huston dans ses mémoires. "Michael Wildin, ex-époux de Liz, nous rejoignit en tant qu’agent de publicité de Burton. Peter Viertel, second mari de Deborah Kerr, avait été l’amant d’Ava Gardner qui s’était attaché les services de deux maîtres-nageurs, tandis que tous les machos de la ville recherchaient les bonnes grâces de Sue Lyon, malheureusement pour eux, étroitement surveillée par sa mère et son fiancé. Tout le monde se demandait ce qui allait arriver. Qui?Avec qui? Pourquoi, quand, comment?" John Huston

Mais si l’histoire de "La Nuit de l’iguane" est conflictuelle, la vie sur le tournage est plutôt travailleuse. Pas de chance pour les paparazzis qui sont bientôt plus nombreux que les iguanes.

Le tournage se termine le 30 novembre 1963 quelques jours après l’assassinat du président Kennedy.

Les lieux du tournage sont laissés en l’état, aux mains des promoteurs. La région sera complètement transformée. A la suite des paparazzis venus en masse, ce sont les touristes qui vont accourir. Des hôtels et des immeubles vont jaillir de terre.

Plus rien ne sera jamais comme avant à Puerto Vallarta.

Crédits

Une proposition de Catherine Fattebert pour "Travelling" du 9 avril 2017

Sources:

"John Huston par John Huston", Editions Pygmalion Paris, 1982.

BRION Patrick, "John Huston, Biographie, filmographie illustrée, analyse critique", Editions de la Martinière, 2003

Réalisation web:

Andréanne Quartier-la-Tente

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