JOHN CARPENTER, LE MAÎTRE DE L'HORREUR

Grand Format

Kobal / The Picture Desk / AFP - Debra Hill Prods

Introduction

Un réalisateur majeur du cinéma fantastique

NAISSANCE D'UN STYLE

UNE RECONNAISSANCE TARDIVE

"Halloween". "The Thing". "New York 1997". Il suffit de citer ces trois classiques absolus parmi les 18 films signés John Carpenter pour saisir l'importance d'un cinéaste longtemps tenu pour un petit faiseur de séries B avant d'être reconnu à sa juste valeur dans les années 90. Un réalisateur majeur du cinéma contemporain, passionné dès son plus jeune âge par le western et la science-fiction, dont le talent s'épanouira dans le cinéma fantastique et d'horreur.

DES DÉBUTS DANS LA SCIENCE-FICTION

Né en 1948 à Carthage, dans l'Etat de New York, John Carpenter passe son enfance dans une petite ville conservatrice du Kentucky où il réalise, dès ses 8 ans, ses premiers courts-métrages amateurs. En 1968, il intègre le département cinéma de l'University of Southern California dont il sort diplômé quatre ans plus tard. Son film de fin d'études devient son premier long-métrage: "Dark Star" (1974), coécrit avec le futur auteur d'"Alien", Dan O'Bannon. Une parodie absurde et potache de "Docteur Folamour" et de "2001: l'Odyssée de l'espace" située dans un vaisseau spatial où végète un équipage de hippies enfumés. Il faudra attendre son film suivant pour assister à la naissance du style unique de John Carpenter.

"ASSAUT", UN FAUX WESTERN

Fortement influencé par "Rio Bravo" de Howard Hawks, "Assaut" (1975) décrit le siège d'un commissariat de Los Angeles par un gang local. A l'intérieur, un policier noir, un détenu en transfert, et une secrétaire s'unissent contre les assauts répétés d'une horde presque fantomatique.

Un western déguisé qui pose déjà toute la singularité du cinéma de John Carpenter: un cinémascope d'une maîtrise prodigieuse, une musique minimaliste et entêtante composée par Carpenter lui-même, une mise en scène épurée au maximum, un sens inné du huis clos, ainsi qu'une tonalité générale très sombre, désabusée, flirtant avec le nihilisme.

En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un réalisateur de films d'horreur. Aux États-Unis, je suis un raté

John Carpenter

DE "HALLOWEEN" À HOLLYWOOD

Halloween, de John Carpenter [Photononstop - SCREEN PROD]
Halloween, de John Carpenter [Photononstop - SCREEN PROD]

"HALLOWEEN", SON PLUS GRAND SUCCÈS

Tourné avec une économie de moyens qui lui assure son indépendance, son film suivant, "Halloween" (1978), impose John Carpenter dans la cour des grands.

Adoptant un rythme lent, "Halloween" joue avec les nerfs des spectateurs en étirant son suspense le plus possible. La caméra épie longuement les futures proies de Myers qui déambulent dans les rues de la petite ville d'Haddonfield. Carpenter lâche ensuite sur elles son tueur masqué, croquemitaine moderne promu au rang de nouvelle icône du cinéma d'horreur.

Le succès est colossal, le plus important de la carrière de John Carpenter. "Halloween" rapporte 70 millions de dollars dans le monde pour un investissement initial de 325'000 dollars. Il aura droit à sept suites et deux remakes.

Ce qui me rend marginal à Hollywood, c’est que je suis incapable de tourner des films destinés au grand public

John Carpenter

UNE RELATION HOULEUSE

Courtisé par Hollywood, John Carpenter préfère enchaîner avec un autre film d'horreur à petit budget, "The Fog" (1980), puis son classique d'anticipation, "New York 1997" (1981). En 1982, il accepte enfin de travailler avec un studio hollywoodien pour "The Thing" et bénéficie d'un budget conséquent. Le film sort dans l'indifférence totale au même moment qu'un certain "E.T.". Le public succombe à la vision pacifique de l'extraterrestre de Spielberg et rejette en bloc le huis clos crépusculaire et pessimiste de Carpenter. Même si "The Thing" obtiendra avec le temps la place qu'il mérite au panthéon du cinéma contemporain, John Carpenter entretiendra dès lors une relation houleuse avec Hollywood. La bande annonce est à voir ici:

DES FILMS DE STUDIO AU CINÉMA INDÉPENDANT

Cinéaste farouchement indépendant, frondeur, individualiste, John Carpenter acceptera par la suite plusieurs films de studio, comme "Christine" (1983), "Starman" (1984), "Jack Burton dans les griffes du mandarin" (1986), "Les aventures d'un homme invisible" (1992), "Le village des damnés" (1995), et "Los Angeles 2013" (1996). Presque tous seront des échecs au box-office et obligeront Carpenter à retourner régulièrement vers le cinéma indépendant, où il signera ses meilleurs films, "Prince des ténèbres" (1987), "Invasion Los Angeles" (1988), et "L'antre de la folie" (1994).

UN CINÉASTE CLASSIQUE, ADMIRATEUR DE JOHN FORD, HOWARD HAWKS ET HITCHCOCK

UN LIEN AVEC LE PASSÉ

A la fois dans et hors du système, trop singulier pour se contenter de mettre en images des histoires qui ne correspondent pas à son univers, John Carpenter a toujours brouillé les lignes entre cinéma d'auteur et cinéma commercial.

En cela, il diffère des autres grands réalisateurs du cinéma d'horreur de son époque, plus à l'écart du système hollywoodien, tels George Romero, Wes Craven ou Tobe Hopper. Des collègues qui s'ancrent dans la modernité des années 70 en rompant avec le cinéma du passé alors que John Carpenter construit une œuvre qui tire un trait d'union avec le classicisme et les grands cinéastes qu'il adule: John Ford, Howard Hawks, Alfred Hitchcock.

DES ANTIHÉROS CYNIQUES

Comme Sam Peckinpah ou Sergio Leone, le cinéma de John Carpenter épouse toutefois une vision de la société, de l'humanité et de l'héroïsme bien plus désabusée que ses maîtres. Une vision qui s'incarne dans les personnages de ses films, véritables alter ego du cinéaste comme Snake Plissken, le protagoniste de "New York 1997" et "Los Angeles 2013". Cousin direct du Clint Eastwood taciturne des westerns-spaghettis de Sergio Leone, Plissken tranche avec les héros classiques des westerns hollywoodiens en cela qu'il se fiche du destin de la collectivité, de la communauté. Il n'agit que pour son propre compte, ne cherche à sauver personne d'autre que lui-même. Un antihéros cynique et individualiste qui ne croit plus en grand-chose, ni même à la nécessité de se battre pour l'humanité.

INCLASSABLE POLITIQUEMENT

Politiquement, John Carpenter brouille également les pistes. Même si certains de ses films, notamment "Invasion Los Angeles" (1988) ou "Los Angeles 2013" (1996), fustigent l'Amérique conservatrice de Reagan, le politiquement correct, le puritanisme, le consumérisme et l'intégrisme religieux, la méfiance de Carpenter à l'égard des dogmes de tous bords l'affirme moins comme un révolutionnaire de gauche que comme un anarchiste qui déteste suivre les règles établies. Un cinéaste si viscéralement sourd aux effets de mode, au marketing et au public cible qu'il n'a tourné que trois films depuis 1997, incapable de se reconnaître dans le cinéma d'aujourd'hui.

"Invasion Los Angeles" était un cri primal contre le reaganisme des années 80. Et les années 80 ne sont jamais parties. Elles sont encore là

John Carpenter

LE MAL SELON JOHN CARPENTER

S'il est bien un thème au cœur de l'œuvre de John Carpenter, c'est la figure du Mal. Non pas le Mal comme élément moral ou religieux, mais le Mal comme expression de l'inhumain. Pour l'anecdote, Carpenter a souvent narré un souvenir de son enfance dans le Kentucky. Lors d'une visite dans un hôpital psychiatrique, il raconte avoir croisé le regard d'un garçon derrière les barreaux. Un regard vide, glaçant, qu'il ressentira comme le Mal pur.

Nul doute que cet enfant inspirera John Carpenter pour le tueur de "Halloween", Michael Myers. Un psychopathe muet, affublé d'un masque inexpressif, baptisé "The Shape", soit "La Forme" dans le générique de fin. Une forme capable d'apparaître et de disparaître aussitôt, une force omnisciente et indestructible qui tue sans motifs compréhensibles.

On retrouve cette présence cachée, diffuse, du Mal dans de nombreux films de John Carpenter. Dans "Assaut", le gang qui assiège le poste de police se révèle, plus le récit avance, comme une masse de moins en moins identifiable. Dans "The Fog", les revenants qui terrorisent une communauté portuaire sont filmés comme des ombres tapies dans le brouillard. "Invasion Los Angeles" (1988) personnifie le Mal sous la forme d'extraterrestres qui ont infiltré l'humanité et ne peuvent être vus qu'à travers des lunettes spéciales. Et dans "Prince des ténèbres" (1987), le Mal est un liquide vert protégé dans une église désaffectée.

"THE THING", LE MAL VIRAL

Mais l'exemple le plus spectaculaire du Mal selon John Carpenter se trouve dans "The Thing" (1982), son chef-d'œuvre. Sous influence des romans d'horreur paranoïaques de H.P. Lovecraft, ce huis clos situé dans une base de l'Antarctique confronte douze scientifiques américains à un monstre extraterrestre capable d'imiter n'importe quelle forme de vie organique. Tel un virus foudroyant, le Mal se transmet de corps à corps sans que personne ne puisse vraiment savoir qui est encore humain ou pas. Une chose à la fois visible et invisible, extérieure et intérieure, protéiforme.

"The Thing" de John Carpenter [Collection cinéma / Photo12 - Photo12.com]
"The Thing" de John Carpenter [Collection cinéma / Photo12 - Photo12.com]

JOHN CARPENTER, LE MUSICIEN

À l'exception de quatre titres, John Carpenter a signé lui-même toutes les bandes originales de ses films. Élevé par un père professeur de musique, le cinéaste a rapidement développé un style reconnaissable entre tous. Quelques notes minimalistes répétées en boucle. Des thèmes obsédants, souvent joués sur un synthétiseur.

Une musique qui fait partie intégrante du cinéma de John Carpenter. Journaliste à la RTS, auteur, compositeur et interprète lui-même, Nicolas Julliard décrypte l'art musical de John Carpenter:

John Carpenter donnera également un concert en Suisse le 6 juillet. [EPA/KEYSTONE - MARTA PEREZ]EPA/KEYSTONE - MARTA PEREZ
RTSCulture - Publié le 3 juin 2016

FILMOGRAPHIE

The Picture Desk - Kobal

1974 - "Dark Star"

1976 - "Assaut"

1978 - "Halloween"

1980 - "Fog"

1981 - "New York 1997"

1982 - "The Thing"

1983 - "Christine"

1984 - "Starman"

1986 - "Les aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin"

1987 - "Prince des ténèbres"

1988 - "Invasion Los Angeles"

1992 - "Les aventures d'un homme invisible"

1995 - "L'antre de la folie"

1995 - "Le village des damnés"

1996 - "Los Angeles 2013"

1998 - "Vampires"

2001 - "Ghosts of Mars"

2011 - "The Ward"

Crédits

Un décryptage de Rafael Wolf

Réalisation web par Nathalie Hof

Crédits photos

The Picture Desk / AFP - Kobal

Image principale: "Fog" (1979) - Debra Hill Prods / Kobal / The Picture Desk / AFP

John Carpenter jeune - Archives du 7e Art / Photo12 / AFP

John Carpenter en 2001 - EPA PHOTO ANSA / Claudio Onorati / Keystone

"Halloween" (1978) - SCREEN PROD / Photononstop / AFP

"Le village des damnés" (1995) - Archives du 7e Art / Photo12 / AFP

Alfred Hitchcock (1960) - STF / AFP

"Invasion Los Angeles" (1988) - Photo12.com / Collection Cinéma / Photo12 / AFP

"The Thing" (1982) - Photo12.com / Collection Cinéma / Photo12 / AFP

"New York 1997" (1981) - Kobal / The Picture Desk / AFP

"Prince des ténèbres" (1987) - Kobal / The Picture Desk / AFP