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Pour sa première réalisation, Zoë Kravitz dévoile l'enfer du décor dans "Blink Twice"

Une image du film "Blink Twice" de Zoë Kravitz. [Warner Bros]
Une image du film "Blink Twice" de Zoë Kravitz. - [Warner Bros]
Pour sa première incursion dans la réalisation, Zoë Kravitz épate avec ce brûlot post-MeToo d'une rage jubilatoire dans lequel plusieurs femmes, invitées sur l'île paradisiaque d'un richissime entrepreneur, se retrouvent prises au piège d'une manipulation sordide. 

De Zoë Kravitz, on connaissait le père, Lenny, la mère, l'actrice Lisa Bonet, quelques rôles en tant que comédienne – Catwoman dans le "Batman" de Matt Reeves, "Mad Max: Fury Road", "Les Animaux fantastiques:Les Crimes de Grindelwald" –, mais rien qui ne pouvait présager ses talents de cinéaste. La surprise que l'on éprouve devant "Blink Twice", son premier et remarquable long métrage en tant que réalisatrice, n'en apparaît que plus éblouissante.

Le film débute avec Frida (Naomi Ackie) qui consulte compulsivement son Instagram à la recherche de vidéos sur Slater King (Channing Tatum, délicieusement machiavélique). Le richissime homme d'affaires vient d'annoncer son retrait de son entreprise de technologie après une nébuleuse histoire d'abus de pouvoir. Fascinée par King, la serveuse s'arrange pour croiser son idole lors d'une soirée de gala à Los Angeles. Contre toute attente, King paraît sous le charme de Frida et l'invite, elle et son amie Jess, avec d'autres femmes et plusieurs collègues à passer quelques jours sur son île privée. Les vacances idylliques, rythmées par des soirées aux allures de bacchanales, laissent toutefois poindre une réalité beaucoup plus sordide.

Vers le film d'horreur

Porté par une première partie à infusion lente, "Blink Twice" plonge Frida, sorte de Cendrillon moderne, dans le luxe fastueux, la drogue, l'alcool et la fête. Face à elle, Slater King apparaît comme un prince charmant attentionné et respectueux. L'homme parfait, en somme. Sinon que les regards amusés, voire moqueurs, du personnel de maison, les allusions d'une femme de ménage à un mystérieux "lapin rouge", puis la disparition de Jess, dont personne ne semble plus se souvenir, éveille la suspicion de Frida, convaincue que quelque chose d'horrible se passe sur l'île.

Le monstrueux aura bien lieu, révélé lors d'un twist dont on ne dévoilera évidemment rien ici, soulignant la filiation du récit avec "Get Out" ou "Promising Young Woman". Tout juste pourra-t-on dire que "Blink Twice" bifurque brutalement vers le film d'horreur on ne peut plus tordu, culminant par un jeu de massacre particulièrement saignant, outrancier et jubilatoire où l'enfer déchire l'écran lénifiant du paradis. 

>> Voir le débat cinéma de Vertigo du 21 août :

Débat cinéma: "Blink Twice" de Zoë Kravitz
Débat cinéma: "Blink Twice" de Zoë Kravitz / Vertigo / 5 min. / le 22 août 2024

La porte de l'enfer

Travaillant dès les premières minutes un montage fragmenté, qui entrechoque gros plans, plans larges, coupes nettes, musiques arrêtées prématurément, Zoë Kravitz suggère que tout ce qui nous est montré cache une autre image. Une image manquante, un hors-champ traumatisant qui interroge ici la question de l'oubli et du pardon. Peut-on pardonner le pire? Si non, doit-on l'oblitérer, l'effacer?

L'apparition de "La porte de l'enfer" de Rodin lors du gala inaugural, puis la référence détournée à Lewis Carroll (le lapin blanc d'"Alice au pays des merveilles") nous avait bien mis sur la piste du cauchemar à venir. On ne s'attendait pas pour autant au vertige de ce "Blink Twice" qui, à défaut de subtilité, trouve dans la rage démentielle d'une sororité vengeresse toute sa raison d'être. 

Avec cette satire noire post-MeToo, qui prend un malin plaisir à mettre en scène d'anciennes gloires du cinéma (Geena Davis, Haley Joel Osment, Kyle MacLachlan, Christian Slater) comme autant de figures d'un monde obscène et obsolète, Zoë Kravitz signe un métrage férocement subversif. Une réussite inattendue qui impose l'actrice comme une cinéaste sur laquelle il faudra compter.

Rafael Wolf/ld

"Blink Twice" de Zoë Kravitz, avec Naomi Ackie, Channing Tatum, Adria Arjona, Haley Joel Osment, Geena Davis, Christian Slater. Sorti dans les salles le 22 août 2024.

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