"Il y a deux types de clients qui fréquentent les hôtels de luxe: ceux qui chassent et ceux qui fuient". Cette phrase, citée de mémoire et prononcée par un des personnages de cet "Emmanuelle" version 2024, résonne pour ainsi dire comme un résumé de l'ensemble du film. Une œuvre déroutante qui fuit d'emblée toute comparaison avec son modèle, les scènes érotiques, aussi chastes que succinctes, étant largement éludées par Audrey Diwan.
Accompagnée au scénario par Rebecca Zlotowski, la cinéaste préfère emprunter la piste d'un portrait glaçant et glacé d'un monde où le désir est écrasé par le narcissisme et le capitalisme. Quant à Emmanuelle elle-même, on la découvre fuyante, justement, n'éprouvant pour l'acte sexuel qu'une tristesse et un détachement aux antipodes de sa grande sœur des années 1970.
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Le luxe au lieu de la luxure
L'entrée en matière ne laisse planer aucun doute. Nous sommes dans un avion, première classe, of course. Le regard d'un homme s'attarde sur les jambes d'Emmanuelle qui ne tarde pas à inviter le monsieur à la suivre aux toilettes. Là, un court ébat abandonne la jeune femme à son propre reflet comme à sa propre insatisfaction.
La suite nous révèle Emmanuelle, mandatée par un grand groupe international pour évaluer les qualités d'un hôtel de luxe hong-kongais, participer, avec une absence de plaisir équivalente, à un plan à trois, se masturber en communion avec une prostituée qui tapine autour de la piscine de l'établissement, prendre des selfies dénudés dans une chambre, puis devenir obsédée par un client japonais de l'hôtel, ingénieur spécialisé dans les barrages, délesté lui aussi de tout désir.
Une solitude onaniste
Après "L'enlèvement", qui imposait une forme ultraréaliste aux ambitions totalement immersives, Audrey Diwan prend ici le contre-pied radical avec cet objet à l'esthétique ciselée, remplie de miroirs et de reflets, situé dans un hôtel hong-kongais filmé comme une prison cinq étoiles.
Un huis clos dans lequel le capitalisme, la surveillance et l'image omniprésente, bien plus qu'un supposé puritanisme post-MeToo, ont eu raison des corps et du désir. Et où Emmanuelle apparaît comme une spectatrice plus ou moins passive, un regard perdu dans sa solitude onaniste, qui devra trouver un autre regard porté sur elle pour pouvoir enfin, peut-être, accéder à la jouissance.
Il y a quelque chose de fascinant dans ce refus radical de plier aux lois des scènes de sexe, de contourner tout ce que le public pourrait attendre d'un tel film en assumant de passer par des symboliques un peu lourdes (l'ouragan, les barrages, la pluie comme métaphore érotique), des dialogues ampoulés et un aspect plus cérébral que charnel. Avec, qui plus est, une citation récurrente des "Hauts de Hurlevent" d'Emily Brontë, influence finalement bien plus grande ici que le roman d'Emmanuelle Arsan.
Des corps inexistants
Le problème vient du fait qu'à force de repousser tout moment un tant soit peu incarné, troublant, frontal, Audrey Diwan ne parvient pas à faire exister des corps, dilués dans le verni clinquant d'un film éthéré qui aurait tout aussi bien s'appeler "Catherine", "Marie-Claude" ou "Pénélope".
Aux critiques exagérément assassines de son "Emmanuelle", Audrey Diwan a réagi par un tout aussi lapidaire: "Je découvre qu'on peut parler du plaisir de la femme au cinéma aujourd'hui, mais seulement si on le fait en donnant du plaisir".
Se souvenir que d'autres cinéastes, Catherine Breillat, David Lynch, Rebecca Zlotowski, Pedro Almodovar et bien d'autres ont sur traiter de la question de la sexualité sans pour autant succomber aux sirènes de la seule satisfaction du public, souligne à quel point des intentions, aussi louables soient-elles, ne suffisent en rien à faire un bon film.
En l'état, cet "Emmanuelle" paraît bien trop opportuniste et théorique pour convaincre de sa réelle utilité ou même de son actualité.
Rafael Wolf/ld
"Emmanuelle" d’Audrey Diwan, avec Noémie Merlant, Naomi Watts. A voir dans les salles romandes depuis le 25 septembre 2024.
Note: 3/5