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"Don't Worry Darling", de l'autre côté du miroir

Une scène du film "Don't Worry Darling". [2022 Warner Bros. Ent. All Rights Reserved.]
Débat cinéma avec Rafael Wolf et Judith Beauvallet / Vertigo / 25 min. / le 21 septembre 2022
La comédienne Olivia Wilde nous plonge au sein d'une communauté utopiste retirée dans le désert californien, dans les années 1950. Sous le vernis de cette société ultraconservatrice se terre un secret monstrueux. Ce film en forme de fable féministe flirte avec le thriller dystopique.

Pour un peu, on se croirait dans un épisode de "Mad Men". Nous sommes dans les années 1950 et dans la petite ville de Victory, nichée au cœur du désert californien, les allées mènent invariablement à des villas toutes construites sur le même modèle. Là, les épouses dociles embrassent leur mari avant que les hommes ne partent au travail, œuvrant pour un mystérieux projet où ils manipulent des "matériaux progressifs". Les femmes passent leur journée à faire du shopping, à siroter des cocktails et à paresser autour d'une piscine.

Après avoir fait le ménage et préparé le dîner, Alice Chambers (Florence Pugh) attend son époux, Jack (Harry Stiles), qui, à peine rentré, lui fait l'amour sur la table à manger.

La communauté se soude autour du fondateur et PDG de Victory: Frank (Chris Pine), coach carnassier aux allures de gourou. Mais alors qu'une de ses amies commence à hurler à la cantonade "Pourquoi sommes-nous ici?", Alice se met à douter, sa vie parfaite se fissure, la femme au foyer lisse entrevoit des images cauchemardesques et incompréhensibles et elle dévoile peu à peu le secret terrible sur lequel a été bâti Victory.

Un thriller paranoïaque

Après quelques clips vidéo et un premier long métrage sorti en 2019 ("Booksmart"), la comédienne Olivia Wilde réalise un second film assez fascinant qui égratigne la surface trompeuse d'une société aux valeurs obsolètes. Posant peu à peu les pierres d'un édifice qui ne demande qu'à s'écrouler, la cinéaste avance à l'unisson de son héroïne, Alice (la référence à Lewis Carroll et à son "De l'autre côté du miroir" est évidente), isolée par sa soif de vérité.

Soutenue par une mise en scène très stylisée qui joue sur la claustrophobie et l'enfermement, la fable glisse alors vers le thriller paranoïaque, flirte avec l'horreur et le fantastique et brouille les pistes. Le public se retrouve désarçonné par les multiples lectures qui s'imposent à lui: s'agit-il d'un projet lié à une arme atomique, une amnésie globale, un vaste lavage de cerveau, ou alors une pure simulation?

On n'en dira pas plus pour ne pas éventer la révélation qui attend les spectatrices et spectateurs de ce "Don't Worry Darling" au titre éminemment ironique, guignant du côté d'œuvres comme "Get Out" de Jordan Peele, "Les femmes de Stepford" de Bryan Forbes, "Pleasantville" de Gary Ross, ou "Matrix" des sœurs Wachowski.

Une fable féministe

Si le suspense, le trouble, voire le malaise progressif que distille le film stimulent sans peine notre intérêt pendant les deux tiers du récit, on reste plus dubitatif face à l'explication apportée à l'existence de la communauté de Victory. Le concept qui soutient l'ensemble du film préserve trop de zones nébuleuses pour convaincre totalement, hésitant entre des directions contradictoires.

Olivia Wilde paraît d'ailleurs très peu intéressée par la conclusion précipitée de son film, préférant souligner son propos plutôt que de le faire advenir de manière plus organique, moins artificielle. Et si l'ensemble manque de subtilité, de complexité, comme de ciment scénaristique, on ne saurait passer totalement à côté des qualités évidentes de "Don't Worry Darling", fable pour le moins tordue doublée d'une charge féministe contre les esprits rétrogrades. Une œuvre où une poignée d'hommes préfère régner sur une société stable, mais délétère, dans laquelle les femmes soi-disant libérées restent prisonnières d'une bulle coercitive, aussi jolie soit-elle.

Rafael Wolf/ls

"Don’t Worry Darling" (122’) d’Olivia Wilde, avec Florence Pugh, Harry Stiles, Olivia Wilde, Chris Pine.

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