"Le grand sommeil" de Howard Hawks, film noir culte

Grand Format Cinéma

AFP - WARNER BROS./Collection ChristopheL

Introduction

Classique du film noir, "Le grand sommeil" réalisé par Howard Hawks est sorti en 1946. Cette adaptation du best-seller de Raymond Chandler est une histoire policière alambiquée qui met en scène Humphrey Bogart dans le rôle du détective Philip Marlowe et Lauren Bacall en manipulatrice.

Chapitre 1
Chef d'oeuvre du film noir

Collection Christophel via AFP - WARNER BROS./Collection ChristopheL

Classique du film noir, du film de détective, "Le grand sommeil" (1946) est signé Howard Hawks. C'est une histoire policière alambiquée, l'adaptation du best-seller de Raymond Chandler qui met en scène pour la première fois la figure du détective Philip Marlowe, dans laquelle on ne sait jamais vraiment qui a tué qui.

Mais "Le grand sommeil", cʹest aussi Humphrey Bogart endossant le costume du détective Philip Marlowe et une Lauren Bacall qui apparaît en manipulatrice.

Ce chef-dʹœuvre parmi les plus insolites de lʹhistoire du cinéma contient aussi des averses photogéniques, des brouillards décadents et un vieux général qui hait les orchidées.

Au moment où il sort sur les écrans, juste après la Seconde Guerre mondiale, les nuits poisseuses, les petits matins glauques et sans espoir, l'humour noir et le désespoir du film font mouche tout comme la figure de ce détective pas comme les autres, peut-être plus désabusé, en pardessus et chapeau mou. Et Humphrey Bogart vient d'épouser Lauren Bacall.

Chapitre 2
Une histoire complexe

Le genre policier, ou le film noir, sont des genres habituellement sans ambiguïté. Mais pas là. Car "Le grand sommeil" propose une histoire à laquelle on ne comprend pas grand chose, voir strictement rien.

Philip Marlowe, détective privé, est convoqué par le général Sternwood qui est victime d’un chantage. A peine arrivé dans la luxueuse demeure hollywoodienne du général, sa fille cadette, jeune fille pâle, le vampe en suçant son pouce et en lui disant: vous êtes chou. C’est Carmen.

Elle s’éclipse laissant son père avec Marlowe dans une serre surchauffée remplie d’orchidées.

Le général Sternwood, devenu père sur le tard, a bien des soucis avec ses deux filles. L’ainée Vivian s’est mariée à un ex-bootlegger qui a mystérieusement disparu. Elle boit et joue à la roulette, mais est très intelligente, contrairement à Carmen, un peu nymphomane et droguée.

Filature et cadavres

En l’occurrence, c’est Carmen qui a des ennuis. Un certain Geiger, bouquiniste, veut lui faire payer des reconnaissances de dettes signées par elle. Qu’y a -t-il derrière cette tentative de chantage? A Marlowe d’enquêter.

Il prend Geiger en filature et découvre bientôt que le bouquiniste utilise sa librairie comme paravent, masquant un commerce de pornographie. Peu après, Marlowe découvre Geiger mort chez lui.

Carmen Sternwood, est là, face au cadavre, nue et droguée, elle posait comme modèle pour une séance de photos.

Quand le détective revient chez Geiger après avoir mis Carmen en sûreté, le cadavre a disparu. Il lui faudra cinq jours pour résoudre l’affaire en affrontant pornographes et magnats du jeu tout en résistant aux avances des deux sœurs et en trichant avec la police...

>> A écouter, l'émission "Travelling" consacrée au film "Le grand sommeil" :

Humphrey Bogart et Lauren Bacall dans "Le Grand Sommeil" (1946) de Howard Hawks. [AFP - Collection Christophel © Warner Bros]AFP - Collection Christophel © Warner Bros
Travelling - Publié le 15 août 2023

Chapitre 3
Roman fondateur devenu film culte

AFP - WARNER BROS./Collection ChristopheL

Chapitre 4
Un couple mythique

AFP - Collection Christophel © Warner Bros

Le film est surtout emblématique pour ses vedettes, Lauren Bacall et Humphrey Bogart qui vont devenir, à l’écran comme à la ville, un des couples les plus glamours de l’histoire du cinéma.

En 1944, Humphrey Bogart est l’un des mythes les plus prestigieux d’Hollywood. Il a utilisé à merveille ses défauts, comme son rictus provoqué par une paralysie partielle de la lèvre inférieure, pour fignoler un personnage sinon révolté, du moins cynique, agressif, dissimulant une sensibilité meurtrière sous un humour corrosif.

De film en film, il perfectionne cet archétype, délivrant à merveille des dialogues hargneux ou caustiques et rendant sensible une sorte de lassitude amère.

Sous la férule de bons réalisateurs, dont Hawks, Huston ou Mankiewicz, il trouve le ton objectif et extérieur cher aux romanciers noirs ou aux polars.

Hawks adore tourner avec cet acteur à qui il confie une débutante, un mannequin, repérée par sa femme Slim dans le magazine de mode féminin "Harper’s Bazaar". Et c’est vrai qu’il est difficile de résister à Lauren Bacall.

Ce jeune mannequin de 19 ans a la grâce féline, une voix grave travaillée à l’aide d’Howard Hawks qui lui a payé des cours de diction, des yeux bleu-vert à tomber et une manière de regarder par en-dessous qui lui vaudra le surnom de "The Look" (le regard).

La rencontre entre les deux acteurs qui se marieront en 1945 juste après le tournage du "Grand sommeil" a eu lieu sur le tournage du "Port de l’angoisse". Ils formeront un couple mythique jusqu’à la mort d’Humphrey Bogart en 1957.

Pour moi, la quintessence du film noir, c’est 'Le grand sommeil' parce qu’il est maîtrisé, parce qu’il est magistral, parce que les règles qui s’appliquent aux autres films ne s’appliquent pas à celui-là.

François Truffaut, réalisateur français
Une scène du film "Le grand sommeil" de Howard Hawks. [AFP - WARNER BROS./Collection ChristopheL]
[AFP - WARNER BROS./Collection ChristopheL]

Chapitre 5
Tournage facile et heureux

Le premier tour de manivelle du "Grand sommeil" est donné dans les studios de la Warner en octobre 1944 et s'achèvera en janvier 1945. C’est un tournage facile et heureux.

Le film est monté, puis projeté en avant-première aux GI's pour service rendus à la nation. Ils adorent. Mais les GI’s seront les seuls à voir cette version du "Grand sommeil" car le film est immédiatement mis au rancard pendant une année.

Non parce qu’il est mauvais. Au contraire. Mais la Warner souhaite pour l’instant donner la priorité à des films ayant traits à la guerre.

On projette dans les cinéma "Agent secret", avec la nouvelle égérie des studios Lauren Bacall, ainsi que Charles Boyer. Mauvais calcul. "Agent secret "fait un flop.

Oui, le public aime Bacall, mais seulement quand elle drague Humphrey Bogart comme elle l’avait si bien fait l’année d’avant dans "Le Port de l’angoisse".

Réalisant enfin l’extraordinaire potentiel cinématographique du couple, qui vient de se marier et qui défraie les chroniques people des journaux, la Warner décide que pour "Le grand sommeil", il faut rajouter des scènes sensuelles entre Boggie et Bacall.

>> A écouter, l'émission "L'humeur vagabonde" de 2015 consacrée à Howard Hawks :

Red River (1948). La Rivière rouge. Pers: Howard Hawks. Dir: Howard Hawks. Ref: RED023CW. [United Artists/The Kobal Collection - The Picture Desk]United Artists/The Kobal Collection - The Picture Desk
L'humeur vagabonde - Publié le 31 octobre 2015

Ajouts de scènes après la fin du tournage

En janvier 1946, Howard Hawks doit, par conséquent, un an après la fin officielle du tournage, réunir à nouveau l’équipe pour tourner de nouvelles scènes, les remonter en fonction de celles qui ont été coupées, pour aboutir enfin à la version que l’on connaît.

Le réalisateur n’est pas chaud chaud. Il est brouillé avec le couple. Mais un chèque de 10'000 dollars pour six jours de tournage le convainc assez facilement.

En août 1946, le film sort finalement aux Etats-Unis. Il est immédiatement plébiscité par le public et par la critique. C’est un triomphe.

En Europe, "Le grand sommeil" est présenté au public une année plus tard et rencontre le même succès. Il entre dans la légende du 7e art.

La qualité de la mise en scène d’Howard Hawks joue sur la précision du bizarre, sur la spontanéité du réflexe anormal. Tout le génie de Hawks est d’être comme absent, ce qui donne une fluidité presque japonaise.

Bacall et Bogart deviennent des estampes discrètement érotiques dans un univers décadent. Il y a là, curieusement une douceur de fin du monde à laquelle on peut s’abandonner. Comme à l’ironie de Bogart et à l’insolence de Bacall.