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Al Pacino, l'acteur de tous les rôles, sauf un, celui de star

Al Pacino dans "Le Parrain 2" de Francis Ford Copolla. [Collection Christophl/Electronic Arts Redwood Shores]
Al Pacino dans "Le Parrain 2" de Francis Ford Copolla. - [Collection Christophl/Electronic Arts Redwood Shores]
Acteur, réalisateur et producteur américain, Al Pacino acquiert une renommée mondiale grâce au rôle de Michael Corleone dans la trilogie du "Parrain". Il n'a pourtant jamais renoncé au théâtre, sa passion. Un documentaire diffusé sur la RTS retrace sa trajectoire.

Michael Corleone, Tony Montana, Frank Serpico. Peu d'acteurs peuvent se vanter d'avoir fait de leur personnage des légendes, des archétypes. Al Pacino, souvent interpellé dans la rue par le nom des (anti) héros qu'il a incarnés à l'écran, est de ceux-là.

Il s'est tellement impliqué dans ses personnages qu'il s'est confondu avec eux. L'acteur a éclipsé l'homme. Une stratégie efficace pour le préserver des expositions médiatiques et du brouhaha du show-business. Al Pacino adore jouer, y compris avec le feu, mais n'a jamais voulu endosser le rôle tant convoité par les aspirants comédiens, celui de star. Sa passion est le théâtre. Il a besoin de l'adrénaline du public.

Si cela n'avait tenu qu'à lui, il n'aurait jamais fait de cinéma.

Lawrence Grobel, son biographe et ami.

Originaire de Corleone en Sicile

Al Pacino est né en 1940 à New York d'une famille d'immigrés siciliens originaires de... Corleone. Son père quitte le foyer quand il a deux ans. Il est élevé par sa mère et ses grands-parents dans le sud du Bronx. L'enfant, qui parle peu mais adore faire rire les gens, sait où il se sent heureux: au théâtre. Depuis qu'il a déménagé à Greenwich Village, il passe ses journées à observer les gens. Cette énergie captée de la rue, proche du réel, sera sa carte de visite.

Il est repéré dans un Comedy Club par l'acteur et réalisateur Charles Laughton qui devient son mentor. En 1966, après un premier échec, il décroche une place dans l'Actors Studio de Lee Strasberg où il rencontre celui à qui on le comparera souvent, Robert de Niro.

Son talent sur les planches lui vaudra une premier Tony Award en 1969 et un premier rôle au cinéma, deux ans plus tard, dans le film de Jerry Schatzberg, "Panique à Needle Park", où il joue un dealer amoureux d'une SDF. Il alterne avec aisance les scènes de grande douceur et de pure violence.

Mais son début de carrière est miné par la perte de deux êtres chers à son coeur, sa mère, décédée à 42 ans, puis son grand-père, l'année suivante. A partir de là, Al Pacino, devenu insomniaque, sait que rien ne dure.

Son style réaliste devient une référence

Dans ce début des années 1970, les cadors d'Hollywood se voient détrônés par la génération issue de la contre-culture: Scorsese, Spielberg et Coppola. Ce dernier, qui l'a remarqué dans le film de Schatzberg, l'engage, contre l'avis des studios, dans "Le Parrain" en 1972. La scène où il s'apprête à tuer de sang-froid deux hommes fait taire tous ses détracteurs. Al Pacino montre tout ce qu'on peut faire et exprimer en silence. Son style réaliste devient une référence et "Le Parrain" connaîtra deux suites, en 1974 et 1990.

>> A écouter, l'émission travelling consacré au deuxième volet du "Parrain" de Coppola :

Al Pacino dans "Le Parrain 2" de Francis Ford Copolla. [Collection Christophl/Electronic Arts Redwood Shores]Collection Christophl/Electronic Arts Redwood Shores
Le Parrain 2 (The Godfather Part II), Francis Ford Coppola, 1974 / Travelling / 53 min. / le 8 décembre 2019

Al Pacino, que l'on dit solitaire, avec un penchant pour l'alcool et la mélancolie, qui rêve d'être hors système, adore les personnages controversés, les marginaux, les hors-la-loi, les non-conformistes, si possible des personnages ayant existé, à l'instar de "Serpico" cet ancien flic qui, au tournant des années 1960-1970, a dénoncé officiellement la corruption au sein de la police new-yorkaise.

Sous la direction de Sydney Lumet, l'acteur qui change de tenues presque à chaque scène - le flic sous couverture devait faire de même - transforme un héros en mythe et fait du terme "Serpico" le synonyme de "Incorruptible". "Son immersion était telle qu'Al Pacino a fini par croire qu'il était vraiment flic. Il en avait les réflexes dans la rue", explique son biographe dans le documentaire "Al Pacino, star malgré lui", à voir sur Play RTS jusqu'au 2 février.

Un flic, puis un braqueur

Un rôle chasse l'autre. Dans son film suivant, "Un après-midi de chien" du même Lumet, il se glisse dans la peau d'un braqueur homosexuel qui dévalise une banque pour payer à son petit ami un changement de sexe. Le braqueur est maladroit, plus marginal qu'agressif, et c'est au cri de "Attica" Attica" - le nom de la prison new-yorkaise qui a connu une répression sanglante en 1971 faisant 33 morts et 85 blessés - qu'il sort de la banque. L'Amérique conteste toute forme d'autorité et Al Pacino incarne son héraut.

1977 marque sa rencontre avec Marthe Keller. L'actrice se rend donc au bar où elle a rendez-vous. Elle est assise depuis trente minutes quand Al Pacino débarque. Elle reste sur son siège. "Vous avez le dos coincé?" lui demande-t-il. "Non, mais je n'ai pas le droit de me lever parce que je suis trop grande...". Contre toute attente, Al Pacino donne son feu vert. Les deux acteurs resteront ensemble sept ans avant de rester très bons amis.

Sydney Pollack me voulait dans "Bobby Deerfield" mais Al Pacino, qui jouait le rôle titre, avait son mot à dire. 'Pouvez-vous m'assurer que vous porterez des talons plats, Al est assez petit et vous êtes assez grande' me dit Pollack".

Marthe Keller parlant de sa rencontre avec Al Pacino.

Dans le film, Pacino joue un pilote automobile dépressif tandis qu'elle incarne une femme en phase terminale de maladie. "C'est dans ce rôle que Pacino a le plus exprimé sa vulnérabilité, sa dépression chronique", dit Marthe Keller.

La critique est sévère

En 1979, dans une de ses périodes les plus heureuses, cet admirateur de Shakespeare remonte sur scène pour jouer "Richard III" à Broadway. La critique est cinglante, on lui reproche son accent du Bronx. Elle le sera tout autant avec son film suivant "La Chasse", où il joue un flic infiltré dans le milieu gay sado-maso. Pendant le tournage, l'acteur est confronté à plusieurs manifestations LGBTQ. Le film est jugé homophobe, ce qui blesse Pacino qui, trente ans plus tard, sera récompensé d'un Queer Lion pour son adaptation de "Wild Salome" d'Oscar Wilde.

>> A lire, notre grand format sur "La Chasse" : "La Chasse", le film qui a fait scandale au sein de la communauté gay

En 1983, un autre rôle iconique l'attend, celui de Tony Montana, baron de la drogue, dans "Scarface", de Brian de Palma. Encore une fois, la critique fait la fine bouche alors que le film devient culte en quelques années. Al Pacino y est proprement hallucinant, donnant à ce remake des dimensions opératiques, ce qui n'est pas étonnant puisqu'il adore l'opéra. Après "Révolution" (1985) de Hugh Hudson qui est un échec commercial, Al Pacino décide d'arrêter le cinéma et de revenir à sa passion de toujours, le théâtre. Il est néanmoins sermonné par Marthe Keller: "Tu as un don, tu n'as pas le droit de le gaspiller".

>> A écouter, l'émission travelling qui raconte les coulisses de "Scarface" :

Al Pacino dans une scène tirée du film "Scarface" de Brian De Palma, 1983. [Universal Pictures/Collection Christophel/AFP]Universal Pictures/Collection Christophel/AFP
Scarface, Brian de Palma, 1983 / Travelling / 55 min. / le 30 juillet 2019

Si sa filmographie comprend parmi les films les plus importants de la seconde moitié du XXe siècle et qu'il a commencé en faisant du stand-up, il est un registre auquel Al Pacino n'a pas touché, la comédie, sauf dans "Dick Tracy" (1989). Dans cette adaptation de la bande dessiné éponyme, Warren Beatty lui demande d'incarner le méchant Big Boy Caprice, caricature d'Al Capone. Avec son nez proéminent et ses yeux exorbités, il est méconnaissable mais offre une prestation comique d'une irrésistible bouffonnerie.

Six fois nominé aux Oscars, il faut attendre 1992 pour qu'Al Pacino tienne enfin le trophée dans ses mains. Dans "Le Temps d'un week-end", il incarne un ancien officier aveugle. A l'opposé de ses rôles précédents, celui-ci voit son personnage devenir meilleur au fil du récit.

Encore sous le coup des méchantes critiques de son interprétation de "Richard III", Al Pacino décide de revenir à ce personnage emblématique, essence du mal, et de le rendre plus populaire dans sa propre et très originale réalisation "Looking for Richard" (1996).

La décennie suivante, un peu comme Robert de Niro avec qui il tourne un bon thriller "Heat", son talent est bradé dans des films sans intérêt majeur. Pacino fait son Pacino, il hurle beaucoup. Il revient à ses premières amours, le film de gangsters, en 2019 avec "The Irishman", sa première collaboration avec Martin Scorsese tandis qu'en 2020, il surprend son monde en incarnant un chasseur de nazis dans la série "Hunters", créée par David Weil. "Aujourd'hui, il est beaucoup plus paisible qu'autrefois même s'il peut toujours entrer en éruption, comme un volcan" dit de lui Marthe Keller.

Marie-Claude Martin

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