"Ascenseur pour l'échafaud" et la BO de Miles Davis

Grand Format

Ina via AFP - Gérard Landau

Introduction

La musique du film "Ascenseur pour l'échafaud" a été improvisée par un quintet de musiciens emmenés par Miles Davis. Une idée lumineuse qui donnera ses lettres de noblesse à ce film réalisé par Louis Malle.

Chapitre 1
Une idée de génie

Sorti en 1958, "Ascenseur pour l’échafaud" est souvent considéré comme l'un des premiers longs métrages de la Nouvelle Vague. C’est le tout jeune Louis Malle qui le réalise, après avoir assisté le commandant Cousteau dans "Le Monde du silence", un documentaire qui a reçu une Palme d’Or et un Oscar.

Le film est le récit d’un crime parfait, parfaitement planifié par une femme et son amant qui décident d’éliminer un mari gênant. Mais la mécanique parfaite se met à débloquer. Un film noir, comme il y en a eu tant. Mais le coup de génie du réalisateur de 25 ans a été d’inviter Miles Davis à jouer la musique du film.

>> A écouter, l'émission "Années Lumière" consacrée à ce film :

Le trompettiste de jazz américain Miles Davis donne une leçon de trompette à l'actrice française Jeanne Moreau (Paris, 1957). [AFP]AFP
Années lumière - Publié le 10 mai 2020

Chapitre 2
Un meurtre presque parfait

Collection ChristopheL via AFP

Adapté du roman de Noël Calef, ce polar filmé en noir et blanc raconte l'histoire de Florence et Julien, un couple clandestin, joué par Jeanne Moreau et Maurice Ronet.

Dès le départ, on assiste au meurtre qu’ils ont méticuleusement organisé et qui soudain, à cause d’un ascenseur récalcitrant, va emmener les protagonistes tout à fait ailleurs, dans un monde où tout part en vrille.

Les amants maudits ne se retrouvent pas comme prévu, lui est enfermé dans l’ascenseur en panne, elle est dehors et déambule dans les rues pluvieuses, grises, de Paris, de plus en plus anxieuse.

Et pendant que Julien tente de s’évader, deux jeunes gens volent sa voiture et tuent deux touristes allemands. Julien est alors recherché pour ce meurtre qu’il n’a pas commis.

Jeanne Moreau et Maurice Ronet dans "Ascenseur pour l'échafaud". [Collection ChristopheL via AFP]
Jeanne Moreau et Maurice Ronet dans "Ascenseur pour l'échafaud". [Collection ChristopheL via AFP]

Chapitre 3
Une musique signée Miles Davis

AFP

C’est Jean-Paul Rappeneau, cinéaste fan de jazz, et assistant de Louis Malle à l'époque, qui lui suggère de s’adresser à Miles Davis pour créer la bande originale du film.

Il se trouve que le célèbre jazzman américain devait se produire au Club Saint-Germain à Paris en novembre 1957. Rappeneau lui présente alors Louis Malle et Miles Davis accepte d'enregistrer la musique après avoir assisté à une projection privée.

La séance d’enregistrement a lieu la nuit du 4 au 5 décembre 1957, au studio du Poste Parisien, sur les Champs Elysées. Jeanne Moreau, principale interprète du film, accueille les musiciens derrière un bar improvisé.

Le quintet se compose de Miles Davis à la trompette, de Kenny Clarke à la batterie et des Français Barney Wilen, saxophone ténor, René Urtreger, piano et Pierre Michelot à la contrebasse.

La soirée commence par une séance photo qui elle aussi entrera dans l’histoire, mettant face à face Jeanne Moreau et Miles Davis qui lui montre comment manier la trompette. Puis Louis Malle explique ce qu'il attend: la musique doit être en contrepoint de l’image, il ne s’agit pas de chercher à traduire ou à refléter directement l’action.

Des extraits se succèdent, le quintet improvise, on enregistre. En trois heures, l’affaire est dans le sac. Et comme tout est enregistré, on aura même droit aux prises alternatives.

La musique du film est basée sur le blues, sans thème, avec simplement quelques lignes directrices distillées par Miles Davis aux musiciens et des suites d'accords très dépouillés qui laissent toute liberté à l'improvisation. Une musique osée pour l’époque qui souligne parfaitement le propos du film. Et qui va faire entrer pour de bon le jazz dans les bandes originales.

J’étais un cinglé de jazz… la musique d’"Ascenseur" est unique. C’est l’une des rares musiques de film qui aient été entièrement improvisées… Je passais les séquences sur lesquelles on voulait mettre la musique, et [Miles Davis] commençait à répéter avec ses musiciens… le film en était métamorphosé… quand on a ajouté la musique, il a soudain semblé décoller.

Louis Malle à propos de la musique de son film "Ascenseur pour l'échafaud"

Chapitre 4
Un tournant dans la carrière de Jeanne Moreau

Collection ChristopheL via AFP

Ce film est une histoire rare, une alchimie parfaite entre un musicien, son ensemble, un réalisateur et son époque. C’est le début de la gloire pour Miles Davis, de la reconnaissance internationale, même si la suite de sa vie sera tout sauf un long fleuve tranquille. C’est aussi un tournant dans la carrière de Jeanne Moreau, dont la profondeur tragique émerge tout à coup.

Et Miles Davis a beau dire que Jeanne Moreau a une démarche qui manque de rythme, il en pince sérieusement pour elle. Mais il faut croire que ce n’est pas réciproque! Dans une interview, vers la fin de sa vie, on lui a demandé si elle avait eu une histoire avec Miles Davis? "On dit qu'il était amoureux de moi, répond-elle. Mais, à la vérité, je ne l'ai même pas remarqué. J'étais si amoureuse de Louis Malle, voyez-vous..."

"Ascenseur pour l’échafaud", c’est une musique, mais c’est aussi une image qui va faire date, comme l’expliquait Olivier Père, directeur du cinéma sur la chaîne Arte:

"L’histoire a retenu "Ascenseur pour l’échafaud" en grande partie grâce à la contribution de Miles Davis, qui a improvisé la musique du film devant les images qu’on lui projetait. La trompette du génial jazzman accompagne la déambulation nocturne de Jeanne Moreau à la recherche de son amant, perdue dans un Paris pluvieux. Cette errance urbaine qui enregistre sans artifice le visage défait de la jeune femme marque un tournant dans le cinéma français.

Le tournage de ces séquences fut rendu possible par l’utilisation de la nouvelle pellicule Kodak Tri-X qui permettait des prises de vues sans apport de lumière. Un progrès technique révolutionne ainsi l’écriture cinématographique, et signe du même coup l’acte de naissance de Jeanne Moreau sur un grand écran, alors que l’actrice avait déjà près de vingt films derrière elle.

Jeanne Moreau, filmée (amoureusement) comme aucune autre femme avant elle, fait entrer "Ascenseur pour l’échafaud" dans la modernité, et nombreux seront les spectateurs et cinéastes – Antonioni le premier – à s’en rendre compte."

Le réalisateur Louis Malle en 1959. [Roger-Viollet via AFP - Bernard Lipnitzki]
Le réalisateur Louis Malle en 1959. [Roger-Viollet via AFP - Bernard Lipnitzki]