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Neuf films de Jacques Demy à disposition sur Netflix

"Une chambre en ville" un film de Jacques Demy. [AFP - Moune Jamet]
Le mystère Demy sʹéclaire sur Netflix / Vertigo / 8 min. / le 15 mai 2020
Il a inventé la comédie musicale en français, dont l'esthétique enchantée, tour à tour pastel ou acidulée, a marqué plusieurs générations. La plateforme de streaming propose neuf de ses films, dont "Lola" et "Peau d'âne".

Netflix s'entiche du patrimoine français. Après Truffaut et Chabrol, voilà que la plateforme de streaming met à disposition neuf films de Jacques Demy (1931-1990), dont "Les Demoiselles de Rochefort", "Lola", "La Baie des Anges" ou "Peau d'âne", autant de films qui ont traversé les générations et inspiré des cinéastes comme François Ozon, Christophe Honoré ou Damien Chazelle ("La La Land").

Demy, c'est un cinéma musical (souvent avec Michel Legrand à la composition), aux décors stylisés, aux couleurs affirmées, hors des modes et jamais démodé. Un cinéma où l'on chante le quotidien, dans un garage ou une cage d'escalier, où l'on croise des marins à pompons et des filles mères, des grévistes romantiques et des aventurières qui jouent leur vie à la roulette, un cinéma qui enchante le monde. Un cinéma optimiste? Pas sûr! Si "Les Demoiselles de Rochefort" sont un antidote parfait au confinement neurasthénique, "Les Parapluies de Cherbourg" distille une mélancolie sans faille.

Demy a l'art du contrepoint: aux lumières de "Peau d'âne" succède la noirceur du "Joueur de Flûte"; à la candeur de "Lola", le sombre tragique d'"Une Chambre en ville".

Les villes portuaires

"Il faut partir" disent souvent ses personnages. A 18 ans, Jacques Demy est parti de Nantes, la ville où il est né et a grandi. Il est même allé jusqu'aux Etats-Unis pour tourner "Model Shop" (1969) mais n'a jamais aimé que les villes portuaires: Los Angeles, La Rochelle, Cherbourg, Nice, Marseille et bien sûr Nantes qu'il a quitté souvent, et où il a toujours fini par revenir.

"Je n'ai pas de souvenirs marquants jusqu'à l'âge de 12 ans, quand Nantes a été bombardée, en septembre 1943. C'était effroyable. A partir de là, plus rien ne compte. A partir de ça, on rêve une existence idéale" disait-il.

Même si tout semble léger parce que musical ou coloré, la guerre imprègne tout son cinéma, un univers de marins et de soldats, qui vont et viennent; où les maris sont souvent morts à la guerre et les amants en partance pour l'Algérie ou le Vietnam.

L'amour du cinéma

Nantes, c'est aussi cette ville magique qui lui a révélé le cinéma. Un lieu en particulier, le fameux passage Pommeraye où se tenait le Ciné-club, et que Demy va rendre célèbre comme Fellini la fontaine de Trevi. C'est là, dans ce passage qu'il a filmé dans deux de ses films, qu'il découvre Ophüls, Renoir, Visconti, Dreyer, Bresson et toutes les comédies musicales américaines.

Pour ce fils de garagiste, le cinéma "sera cette existence idéale". Il a la vocation. D'ailleurs, il s'y exerce depuis l'enfance, depuis ses premiers spectacles de marionnettes à quatre ans, puis ses essais avec son petit projecteur à neuf ans. Son père finit par accepter qu'il ne reprenne pas l'entreprise familiale.

Nantes, encore et toujours. Un autre souvenir hante Jacques Demy, la grève du chantier naval de Saint-Nazaire qui s'était étendue jusque dans sa ville en 1955. "Le chant des grévistes a produit sur moi une impression très forte". Il en restituera le souvenir dans "Une Chambre en ville", un opéra populaire et syndical, avec Dominique Sanda, Michel Piccoli et Richard Berry.

Et l'amour dans tout ça?

La guerre, le peuple, la musique et l'amour. Il peut être heureux, mais c'est rare. Les personnages de Demy demandent souvent l'heure parce qu'ils sont en retard et courent derrière leur vie. Ils se consolent en se disant que "vouloir le bonheur, c'est déjà le bonheur" mais cela ne suffit pas. L'amour est une image, un mirage, un ratage, comme dans "Les Parapluies de Cherbourg" et son final déchirant devant une pompe à essence. Dans les films de Demy, on part, on quitte, on se retrouve, parfois pour mieux se quitter. Mais on peut aussi aimer tragique, à en mourir, parce qu'il ne peut en être autrement.

Jacques Demy, dont chaque film permet plusieurs lectures, a réussi quelque chose de rare: être le cinéaste de l'enchantement autant que du désenchantement, à l'image de la première phrase de son premier film, "Lola", sur l'espoir perdu, retrouvé ou à venir: "Pleure qui peut; rit qui veut".

Rafael Wolf

Adaptation web: Marie-Claude Martin

Les neuf films ne sont pour l'heure visibles que sur Netflix France mais disponibles en DVD et Blue-Ray.

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