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"Judy", portrait d'une icône tragique

Renée Zellweger dans "Judy". [DR - 2019 eOne Germany]
Débat cinéma / Vertigo / 27 min. / le 26 février 2020
En 1968, la légendaire Judy Garland, ravagée par l'alcool et les médicaments, entame son ultime tour de piste à Londres. Distinguée par un Oscar de la meilleure actrice pour sa performance stupéfiante, Renée Zellweger incarne la star du "Magicien d'Oz" au crépuscule de sa vie.

C'est un conte qui vire au cauchemar. Celui d'une enfant star qui a débuté à l'âge de 2 ans. Judy Garland, la légendaire Dorothy du "Magicien d'Oz", n'a jamais atteint l'arc-en-ciel. En 1968, elle a 47 ans, en paraît dix de plus. Sans domicile fixe, alcoolique, toxicomane, endettée, elle doit gagner un peu d'argent, stabiliser sa vie, afin de récupérer la garde de ses deux enfants.

A bout de course, la chanteuse accepte de se produire à Londres pour une série de concerts exceptionnels au Talk of the Town. Surveillée de près par son agent, exploitée par un nouveau compagnon aussi jeune que toxique, Judy repousse ses limites pour continuer à briller, sur scène, face à ce public pour lequel elle donne tout, trop, au risque de s'effondrer. Contre toute attente, les premiers concerts sont exceptionnels. Judy fait mentir ceux qui prédisaient sa chute. Sa voix est phénoménale et sa présence sur scène magnétisante. Mais chaque soir, avant chaque représentation, la star ne pense qu'à une seule chose: sortir de la lumière et redevenir une simple mère, retourner chez soi.

L'usine à rêve

Adapté d'une comédie musicale, "Judy" de Rupert Goold n'en est pas une, même si ses multiples moments chantés nous emportent sans peine. C'est un biopic réussi, un beau mélodrame, qui se focalise judicieusement sur la renaissance tardive de son héroïne tragique, tout en opérant plusieurs flashbacks sur ses débuts hollywoodiens, au moment où Judy Garland devient la star planétaire que l'on connaît, à tout jamais associée à sa chanson la plus célèbre: "Somewhere over the rainbow".

Alors âgée de 17 ans, elle est la créature d'un système carnassier, d'une usine à rêve qui, grâce à la surveillance permanente d'une vieille femme aux ordres de son producteur, lui interdit tout écart alimentaire, toute relation amoureuse, toute insouciance. Une chose, un produit, une image façonnée par Louis B. Mayer, patron gargantuesque du studio de la MGM, un ogre exerçant sur sa jeune comédienne une emprise flirtant, comme le suggère "Judy", avec le harcèlement sexuel.

Renée Zellweger

L'ex-Bridget Jones, Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle pour "Retour à Cold Mountain", Renée Zellweger n'a pas volé sa statuette pour cette performance stupéfiante. Totalement investie dans le rôle de Judy Garland, elle apporte toute la vulnérabilité nécessaire à son personnage, assure elle-même les chansons entendues dans le film, sans édulcorer la dimension autodestructrice de Garland.

Elle n'est pas pour rien dans l'émotion qui porte cette oeuvre classique dans sa forme, mais plutôt tenue, voire retenue. Un biopic qui cisèle le portrait d'une femme sacrifiée sur l'autel du spectacle, une image, une icône qui voudrait redevenir un corps, une femme, une mère, être aimée pour elle-même et juste pour elle-même. Elle le sera, notamment lors d'une osmose vibrante avec son public et d'une séquence bouleversante dans l'appartement d'un couple d’homosexuels londoniens, fans absolus de l'artiste.

Rafael Wolf/ld

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