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Hassen Ferhani: "Mon film est un road movie inversé et immobile"

Un café au milieu du désert algérien: "143, rue du Désert" le documentaire de Hassen Fehrani. [@Allers Retours Films]
Le documentaire "143, rue du Désert" du réalisateur algérien Hassen Fehrani: son interview / Tout un monde / 4 min. / le 20 janvier 2020
Le réalisateur algérien Hassen Ferhani signe son deuxième long métrage, "143 rue du désert", projeté au Festival Black Movie à Genève. L'histoire de Malika, seule tenancière d'un petit café planté au coeur du plus grand désert du monde.

Malika a une soixantaine d'années. Elle tient une buvette rudimentaire au bord de la "Transsaharienne", cette route longue de plus de 2'300 kilomètres qui traverse le désert algérien jusqu’à la frontière du Niger. A sa table, des routiers qui viennent prendre le thé, manger un morceau et surtout faire un brin de causette. Cette scène ouverte sur l'Algérie d'aujourd'hui fait l'objet d'un documentaire signé Hassen Ferhani, "143 rue du désert".

Le film a été plusieurs fois primé dans des festivals internationaux, dont celui de Locarno en 2019, où son réalisateur, 34 ans, a reçu le Prix du meilleur réalisateur émergent. Cet endroit, c'est l'Algérie "comme elle devrait l'être", explique le réalisateur à la RTS. Les routiers qui font halte au petit café de Malika racontent des histoire et des anecdotes qui forment en creux un portrait de la société algérienne. "Ce qui m'a fasciné dans cet endroit, c'est qu'il devenait vraiment un espace d'échange d'idées, de démocratie où tout le monde a son mot à dire et se respecte."

Une réflexion sur la société

Dans ce troquet planté sur la route nationale au 143, rue du désert, on sent qu'il y a toute une réflexion sur la société algérienne dans son ensemble. Car à travers cette vie de bistrot, on accède à tout ce que les voyageurs de passage ont vu ou entendu. A l'origine, le cinéaste était parti pour réaliser un road movie à travers son pays. Mais quand il est entré dans ce petit café d'à peine 20 mètres carrés, tout s'est arrêté.

"Un road movie, c'est la route et elle est à peine à 40 mètres de chez Malika", détaille Hassen Ferhani. "Mon film est plutôt un road movie inversé et immobile, puisque c'est la route qui vient vers nous. J'ai été frappé par l'intelligence innée de beaucoup de routiers qui entraient à l'intérieur du café et qui comprenaient la démarche et le dispositif du film. Certains ne remarquaient même pas la caméra, s'installaient, commandaient un café et c'était parti, ils étaient comédiens de leur propre vie. Auprès des routiers, Malika est une légende vivante, une balise dans le désert. Ils étaient aussi contents de voir que l'on s'intéressait à elle."

On comprend au fil des séquences que cette femme âgée a décidé du jour au lendemain de tout quitter pour ouvrir cette petite buvette au milieu de nulle part. Pour quelles raisons? Le film ne l'explique pas. Malika, quant à elle, revendique son indépendance et sa liberté.

L'indépendance menacée

Cette liberté semble aujourd'hui menacée par la construction d'une grande station-service juste à côté, qui menace la survie du petit café. "C'est un nouveau monde qui est en train de prendre le dessus sur un ancien monde", regrette Hassen Ferhani. "Malika est comme une résistante. Elle a un téléphone qu'elle n'utilise que rarement, elle n'a pas d'électricité, pas de télévision, sa vie est très dure. Elle a construit son petit café et a décidé d'y régner comme une reine. D'ailleurs 'Malika' en arabe, ça veut dire 'reine'!"

Une reine au milieu du désert, dans son royaume éphémère. Cette très jolie fable raconte en images cette transition entre l'Algérie d'hier et celle qui se construit aujourd'hui, jusqu'au confins du Sahara.

Sophie Iselin

Adaptation web: mh

Le Festival Black Movie à Genève projette ce lundi à 21h45 le premier long métrage multirécompensé de Hassen Ferhani, "Dans ma tête un rond-point".

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