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La célèbre mère maquerelle Madame Claude héroïne d'un nouveau film

Madame Claude en mai 1986. [MICHEL GANGNE]
La vie des autres - Madame Claude, la plus célèbre des proxénètes des sixties et seventies / La vie des autres / 3 min. / le 14 janvier 2020
Dans un film à sortir cette année, la réalisatrice Sylvie Verheyde dresse le portrait de Madame Claude, femme de pouvoir dans un milieu et une époque d’hommes, qui réinventa les codes de la prostitution à la veille des grands mouvements de libération des femmes.

"Avec les hommes, il n’y a que deux choses qui marchent: la cuisine, et le sexe. Moi je n’ai jamais été douée pour la cuisine" disait la plus célèbre des proxénète des sixties et seventies. Bourgeoise blonde et stricte, gangster au brushing parfait, mythomane au pays des menteurs, même son pseudo, Madame Claude, cet étrange nom épicène, est devenu une expression.

Si l’on en reparle, c’est qu’un biopic est en préparation. Sa sortie est prévue cette année et elle fait déjà jaser. On va y dépeindre notamment cette fameuse "autre époque", dont on a parlé récemment au sujet de l’auteur pédocriminel Gabriel Matzneff. Ces années 1960-1970 où les mots "harcèlement" et "pédocriminalité" ne figuraient pas dans le vocabulaire, et où cette légendaire mère maquerelle incarnait en quelque sorte l'élégance à la française (Françoise Fabian a tenu son rôle au cinéma), voire l'ambassadrice de son pays.

Une immense mythomane

Et se replonger dans l’oeuvre de Madame Claude fait froid dans le dos. Avant tout, c'était une mythomane. Pour pénétrer les hautes sphères parisiennes, elle se dit enfant de grand bourgeois résistant. Elle aurait été tour à tour vendeuse de bibles, aurait sauvé la nièce du bon général de Gaulle de l’enfer des camps nazis…

La réalité? Elle se nomme Fernande Grudet, née en 1923, fille d’un vendeur de sandwich à la gare d’Angers, élevée sans le sou et passée elle-même par la prostitution et le banditisme. Elle réussit surtout à monter un immense réseau de prostitution, tout en la rendant "chic", selon elle. Elle supervise 500 filles souvent très jeunes venues du monde entier, mais attention, surtout pas "des vulgaires", précisait-elle. A l'autre bout: des clients VIP, des puissants. Elle qui prenait 30% sur les revenus de ses filles fournissait régulièrement le Shah d’Iran, des capitaines d’industrie italiens, des notables du Tout-Paris, des chefs d’états. Elle connaissait l’intégralité des secrets d’alcôve de la République depuis René Coty, en poste dans les années 1950. Ce qui lui assure une belle impunité pendant des décennies.

Splendeurs et misères

L'arrivée de Valéry Giscard d'Estaing, et son intransigeance fiscale, précipite la chute de Madame Claude. Elle passe plusieurs fois par la case prison, tente de se réinventer aux Etats-Unis, remonte un réseau en France à 68 ans. Elle retourne en prison et meurt dans la misère à 92 ans, en 2015. Reste qu’elle a toujours fasciné. En 1990, elle était même invitée sur le plateau du journal de la Cinq, expliquant en toute décontraction comment elle recrutait et façonnait les jeunes femmes. A la même époque, ses confessions connurent des succès d'audience.

"Un échange de bons procédés", vraiment?

Ce qu’on appelle aujourd'hui de l’exploitation, elle y a toujours vu, disait-elle, un "échange de bons procédés". Alors, dans l’ère post #MeToo, fallait-il vraiment exhumer Madame Claude dans un nouveau film?  "J’aurais pu choisir de raconter le destin de Marie Curie", dit la réalisatrice Sylvie Verheyde, "mais celui d’une héroïne négative comme Madame Claude évoque bien plus de choses sur la condition féminine."

Elle veut donc y voir cela: le portrait d’une époque étrange, mais aussi le combat ambigu d’une femme qui se faisait appeler Claude, au milieu des machos.

Benjamin Luis

Adaptation web: mh

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