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"Les Eblouis", un film sur les dérives sectaires chrétiennes

Camille Cottin dans le film "Les Eblouis". [DR]
"Les Eblouis", glaçante dérive sectaire / Nectar / 21 min. / le 20 novembre 2019
Basé sur l'expérience de la réalisatrice Sarah Suco dans une communauté charismatique, le film raconte comment Camille, 12 ans, et sa famille basculent peu à peu dans une secte. La jeune fille va tenter de sauver ses frères.

C'est l'histoire de Camille, 12 ans, et de sa famille. Passionnée de cirque, la jeune fille mène des jours paisibles jusqu'à ce que ses parents décident d'intégrer une communauté religieuse. Petit à petit, la famille va basculer dans un embrigadement sectaire. Déterminée, Camille va tenter de sauver ses frères.

Un film basé sur le vécu de sa réalisatrice

Au-delà du film et son casting de choix – Jean-Pierre Darroussin dans le rôle du gourou, Eric Caravaca et Camille Cottin dans le rôle des parents et la jeune Céleste Brunnquell dans le rôle de Camille – le scénario de "Les Eblouis" est inspiré de la vie de sa réalisatrice Sarah Suco, qui a grandi dans une communauté charismatique avant de s'enfuir à 18 ans.

La réalisatrice se souvient: "Avant de me lancer dans l'écriture du scénario en 2013, cette histoire a germé dans ma tête pendant des années, mais c'était tellement douloureux et difficile de m'y replonger que cela m'a pris du temps. Je ne voulais pas écrire un film dans la colère, un film haineux ou d'horreur. Une fois que j'ai commencé à écrire – d'abord toute seule – je me suis dit "ok, j'ai vécu ça mais je vais quand même lire des choses". Par la suite je n'étais plus seule, parce que j'ai écrit avec Nicolas Silhol qui est formidable."

Une préparation rigoureuse

"Ce travail d'enquêtrice m'a permis d'avoir une distance – je pense que je suis restée très proche de mon histoire à plein d'endroits, mais le fait d'être allée voir ailleurs m'a aidée. J’étais hallucinée de voir que les mêmes techniques de manipulation mentale revenaient quel que soit le groupe, la dérive sectaire ou la religion", explique Sarah Suco.

Les pratiques de la secte "fictive" du film – bêler, croire que le noir est la couleur du diable, demander pardon en public – sont inspirées des communautés charismatiques. "Ce sont des communautés qui sont arrivées aux Etats-Unis dans les années 70 et qui ont ensuite été implantées en France, notamment la communauté des béatitudes qui est la plus connue, avec le frère Ephraïm qui est toujours recherché par la police", précise la réalisatrice.

Les acteurs ont eux aussi mené leurs recherches sur l'embrigadement. Eric Caravaca, qui joue le père, raconte: "Nous avons vu des documentaires et lu pas mal de livres sur cette communauté. Nous avons aussi rencontré des gens qui ont vécu à l'intérieur, on leur a demandé de témoigner devant nous et on les a filmés. Dans le cinéma d'aujourd'hui, le documentaire rentre beaucoup dans la fiction et vice-versa. Il faut faire ce travail quand on est acteurs, c'est d'ailleurs le côté passionnant de cet univers."

Eric Caravaca, Camille Cottin et Jean-Pierre Darroussin dans le film "Les Eblouis". [Pyramide Distribution]
Eric Caravaca, Camille Cottin et Jean-Pierre Darroussin dans le film "Les Eblouis". [Pyramide Distribution]

Histoire personnelle ou récit universel

"J'étais déjà dans une fiction totale dès la préparation, sinon je n'aurais pas pu faire ce film", explique Sarah Suco. "Pour moi, nous étions tous en train de raconter la même histoire. Personne n'était dans la pitié, je demandais cela et je pense que cela s'est communiqué dans mon attitude." Et son collègue d'ajouter: "Sarah Suco est une femme pudique, malgré son côté parfois exubérant. Elle a voulu que ce soit une histoire plus universelle que sa propre histoire."

Je pense que toute œuvre mêle fiction et vie personnelle. Je prends l’exemple de George Lucas, qui fait "Star Wars". Il raconte son histoire – certes dans les étoiles – mais son histoire quand même.

Sarah Suco, réalisatrice

Des scènes difficiles à tourner et à regarder

Etant donné la thématique du film et la violence physique et mentale à laquelle les personnages sont exposés, le tournage était parfois délicat pour la réalisatrice et ses acteurs. "Les scènes qui ont été difficiles à faire, c'est les scènes de violence physique, mais elles auraient été difficiles à faire peu importe l'histoire", dit-elle. "Faire pleurer un gamin de 10 ans dans un film, c'est terrible à faire".

Pour Eric Caravaca, l'une des scènes les plus marquantes était celle où les adeptes bêlent pour appeler leur gourou. "Le plus impressionnant, c'est la manière dont ces communautés vous humilient afin de vous transformer en parfaits moutons. Cette scène était surprenante à jouer car elle met mal à l'aise. Certains ont même pensé la retirer, car c'est si humiliant qu'on n'a pas envie de voir ça."

Des actrices qui relèvent le défi

"Les Eblouis" marque aussi les débuts cinématographiques de la comédienne Céleste Brunnquell. A 17 ans, elle a fait ses premiers pas dans le théâtre. Sarah Suco a su la guider: "Elle ne m'a pas vraiment dit ce qui était faux ou ce qui était juste", raconte Céleste. "Elle m'a raconté comment elle avait vécu son enfance, mais sans pression. Je me suis vraiment laissée porter par ses indications, elle savait où elle voulait aller. Pour chaque scène, elle me disait quelque chose de différent."

Derrière le rôle de Christine Lourmel, la mère de l'héroïne, on découvre l'actrice Camille Cottin qui s'est fait connaître grâce à son rôle comique de "Connasse", d'abord sur Canal + puis au cinéma. L'occasion pour la comédienne de faire ses preuves dans un registre différent en jouant un personnage complexe. "On a beaucoup travaillé en amont avec Camille Cottin", explique Sarah Suco. "C'était un rôle difficile, son premier rôle dramatique. Elle m'a fait confiance, et je la trouve impressionnante de finesse."

Propos recueillis par Raphaële Bouchet/ms

"Les Eblouis, à voir dès le 20 novembre sur les écrans romands.

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