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Le vampire? Un grand mordu de cinéma!

Les vampires se déclinent aussi au féminin.
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Les Vampires sont à la Cinémathèque de Paris / Nectar / 23 min. / le 11 novembre 2019
Glamour ou repoussante, cruelle ou empathique, la figure du vampire hante le cinéma depuis "Nosferatu" en 1922. Même s'il ne peut pas se voir dans le miroir, il est le reflet des sociétés qui le mettent en scène. La Cinémathèque de Paris lui consacre une exposition.

Monstre de cruauté, dandy arrogant, héros romantique, vieux beau ridicule, amoureux fou, esthète décadent, créature malheureuse d'être condamnée à l'immortalité, obsédé sexuel, marginal tourmenté, déclassé vivant comme un zombie, adolescent rebelle, le vampire est un formidable personnage de cinéma et s'accorde à tous les genres. Quelque 300 films lui sont consacrés, dont quelques-uns ont marqué l'histoire du 7e art.

Pourquoi un tel engouement? Parce que le vampire n'a pas son pareil pour questionner l'identité, la sexualité, la mort, notre rapport au sacré, à l'au-delà et à la religion. Parce qu'appartenant au monde fantastique, onirique ou horrifique, il échappe à la censure. Parce que le suceur de sang, même s'il ne peut se voir dans un miroir, est le parfait reflet des sociétés qui le mettent en scène.

"Le vampire surgit à des moments traumatiques de l'histoire: le krach de 29, la montée du nazisme, les tensions coloniales, la crise des subprimes ou le sida, métaphorisé par exemple dans "Les Prédateurs", avec Catherine Deneuve et David Bowie. Jarmush, récemment, a situé son film de vampires entre l'Afrique et Detroit, ville mise en faillite", explique Matthieu Orléans, commissaire de l'exposition "Vampires, de Dracula à Buffy" présentée à la Cinémathèque de Paris.

Horrifique ou dandy

Au cinéma, le vampire fait son apparition en 1922 dans le film de Friedrich Wilheim Murnau, "Nosferatu". Personnage repoussant avec ses ongles comme des griffes, ses dents pointues de crocodile, ses oreilles de chauve-souris, son teint blafard et sa silhouette à la Quasimodo, il impose un look qui inspirera par la suite Freddy Krueger ou le Fétide de la famille Adams. Pour Murnau, son apparence devait être effrayante puisque Nosferatu était une parabole de la montée du nazisme.

"Nosferatu le vampire" de Murnau, fable sur la montée du nazisme. [COLLECTION CHRISTOPHEL/AFP - COLLECTION CHRISTOPHEL]
"Nosferatu le vampire" de Murnau, fable sur la montée du nazisme. [COLLECTION CHRISTOPHEL/AFP - COLLECTION CHRISTOPHEL]

Quelques années plus tard, en 1931, le réalisateur Tod Browning met en scène "Un Dracula" très différent, dandy, aristocrate, manipulateur et séducteur, être mystérieux vivant dans un château et dormant dans un cercueil. Bela Lugosi, acteur d'origine hongroise, se fera proprement vampiriser par son personnage au point d'être enterré avec la cape qui le rendit célèbre.

Un livre, mille vampires

Ces deux versions presque opposées s'inspirent du même roman, "Dracula" (1897), de l'auteur anglais Sam Stoker. En ce XIXe siècle anglais friand de spiritisme, d'hypnose et de paranormal, il invente le prototype du vampire. Sa légende lui est pourtant bien antérieure. Le vampire remonte au Moyen Âge et a particulièrement prospéré en Europe de l'est. Pourquoi là? Il y a plusieurs raisons:

L'Europe de l'est était une zone sujette aux épidémies, ravagée par les guerres, fragile économiquement et socialement. La présence du religieux y était moins importante qu'à l'ouest, ce qui a permis aux folklores, aux rumeurs et aux mythes de se développer. On peut aussi parler d'une réalité géologique, avec une terre qui décompose plus lentement les corps. Tous ces éléments participent à l'installation du mythe du vampire.

Matthieu Orléans, commissaire de l'exposition sur les vampires

Saphisme et vampirisme

Si Stoker a défini le vampire masculin, c'est un autre roman qui a influencé l'imagerie de la femme vampire, "Camilla" (1872), de l'auteur irlandais Joseph Sheridan Le Fanu. Considéré comme un oeuvre majeure de la littérature fantastique du XIXe siècle, le roman raconte l'histoire d'une grande prédatrice, cruelle et dominatrice, mais aussi d'une amoureuse saphique fervente, donnant tout son sens au fameux baiser de la mort. Sa particularité: son désir de se détacher de la lignée, de se libérer de sa pulsion de sang.

"Le Dracula" de Coppola est plutôt victime de sa malédiction que monstrueux. [Collection ChristopheL - American Zoetrope / Columbia Pic /]
"Le Dracula" de Coppola est plutôt victime de sa malédiction que monstrueux. [Collection ChristopheL - American Zoetrope / Columbia Pic /]

"Elle s'interroge sur son identité et souhaite s'en affranchir. En cela Camilla est un personnage plutôt contemporain et cette caractéristique se propagera à d'autres figures de vampires. C'est par exemple le cas du "Dracula" de Coppola, plus victime de sa malédiction que monstre, ou du "Nosferatu" de Werner Herzog, avec un Kinski horrifique mais souffrant d'une immense solitude", poursuit Matthieu Orléans.

Ce vampire au féminin se décline même en tchador dans un film iranien de 2014, parlé en persan, "A girl walks home alone at night", d'Ana Lily Armir qui emprunte au western spaghetti, au film noir hollywoodien des années 50 et à l'expressionnisme allemand. Son héroïne, séduisante et cruelle, a pourtant une éthique: n'éliminer de ses dents que les abuseurs, violeurs et autres agresseurs de femmes.

Propos recueillis par Ariane Hasler

Texte et adaptation web: Marie-Claude Martin

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