Publié

Houellebecq et Depardieu partent en "Thalasso"

Michel Houellebecq et Gérard Depardieu dans le film "Thalasso". [Wild Bunch Distribution]
Débat cinéma / Vertigo / 26 min. / le 25 septembre 2019
Cinq ans après "L'enlèvement de Michel Houellebecq", le cinéaste Guillaume Nicloux orchestre la rencontre improbable entre le comédien et l'écrivain, qui jouent leur propre rôle, en cure à Cabourg. Une farce aussi drôle que bancale.

En 2014, le réalisateur Guillaume Nicloux révélait les talents d'acteur insoupçonnés de Michel Houellebecq dans un téléfilm génial intitulé "L'enlèvement de Michel Houellebecq". L'histoire d'une bande de pieds nickelés qui kidnappaient l'écrivain avant de s'enfermer avec lui dans la maison d'un couple de retraités. L'occasion d'un huis clos absurde qui se moquait de la frontière entre fiction et documentaire et s'amusait, avec une drôlerie contagieuse, de l'image publique de l'auteur des "Particules élémentaires".

Cinq années après, la suite s'appelle "Thalasso". La propre épouse de Michel Houellbecq, Qianyem Lysis Li, dépose l'écrivain comme un chien dépité devant les portes d'un centre de thalassothérapie de Cabourg. Interdit de cigarettes et d'alcool, soumis à un régime alimentaire spartiate, le pauvre Michel frise la dépression. Jusqu'au moment où il croise Gérard Depardieu, lui aussi en pleine cure, qui l'invite dans sa chambre pour partager, en douce, des bouteilles de vin, des tartines de pâtés et des réflexions existentielles.

Une intrigue greffée

L'idée même d'enfermer les deux curistes libertaires dans un lieu ultra-hygiéniste, sclérosé par les règles et les protocoles – métaphore, sans doute, des société actuelles – promettait un choc frontal explosif. Quant à l'association entre l'écrivain polémique et le comédien rabelaisien, elle laissait augurer de scènes anthologiques.

Si "Thalasso" parvient, par bribes, à transformer son concept en cinéma, le résultat n'en est pas moins bancal. Passé une demi-heure de mise en place, le duo Houellebecq-Depardieu semble déjà faire du surplace. Le caractère saugrenu du binôme ne suffit pas à nourrir le récit dans lequel Guillaume Nicloux greffe d'ailleurs, comme un aveu d'impuissance, une intrigue parallèle: les ex-ravisseurs de l'écrivain dans "L'enlèvement de Michel Houellebecq", devenus depuis ses amis, lui demandent de retrouver Ginette, la mère octogénaire de l'un d'eux, qui vient de quitter son mari pour rejoindre un mystérieux amant. Un fil rouge qui prend un peu trop le pas sur le reste et trahit les limites d'un film pas assez confiant quant à son concept initial.

Houellebecq surpasse Depardieu

Accompagné par la musique originale de Julien Doré, "Thalasso" prend le risque permanent de sombrer dans le grand n'importe quoi, même si son côté foutraque, son besoin permanent de passer du coq à l'âne, peut séduire. Abordant l'élection présidentielle de 2017, Macron, la mondialisation selon Alain Minc, l'art contemporain, le vieillissement, l'amour, la vie après la mort, la superstition, et même Sylvester Stallone, incarné par un piètre sosie courant nu sur les plages de Cabourg, le film ne manque nullement de chair, juste d'un squelette.

Ce squelette, on en perçoit quelques vertèbres dans les scènes dominées par Michel Houellebecq devant lequel Depardieu apparaît presque comme un faire-valoir. Ce sont les moments les plus fascinants, les plus réussis du film. Houellebecq grimaçant sous les jets d'eau, Houellebecq râlant sous l'effet d'une cryothérapie agressive, Houellebecq soumettant son corps fragile à toute sorte de traitement suppliciant. Ce corps en souffrance, à la fois tragique et comique, sidère et captive dans sa dimension burlesque.

Dans l'exercice d'autodérision que Guillaume Nicloux offre à ses deux stars, qualifiés de "hontes de la France" comme le leur rappelle un quidam très énervé, Houellebecq se révèle bien meilleur acteur que Depardieu, un peu passif, observateur. Il est hilarant quand il lâche, comme si de rien n'était: "J'apprécie de moins en moins le 69. Je n'arrive plus à agir et à ressentir en même temps". Il est pertinent lorsqu'il philosophe: "Le problème de la vieillesse, c'est que l'on reste jeune." Et il est bouleversant au moment où des larmes réelles accompagnent l'évocation de sa grand-mère. A ce moment, la foi de Houellebecq en la résurrection des êtres, sa croyance absolue en l'inexistence de la mort, amène un cœur et une profondeur à "Thalasso", qui aurait tout aussi bien pu s'intituler "L'internement de Michel Houellebecq". Après "L'enlèvement de Michel Houellebecq", et avant, qui sait, "L'enterrement de Michel Houellebecq". Juste pour rire.

Rafael Wolf/ld

Publié