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Basil Da Cunha: "Mon cinéma s'entremêle avec la vie"

Le réalisateur Basil Da Cunha au 72e Festival du Film de Locarno. [Keystone - Urs Flueeler)]
Basil Da Cunha / Vertigo / 30 min. / le 14 août 2019
"O fim do Mundo" est le nouveau film du réalisateur suisse Basil Da Cunha. A l'occasion de sa projection au festival de Locarno, il revient sur le tournage dans le bidonville lisboète de Reboleira, où réalité et fiction se mélangent.

En compétition pour un Léopard d'or dans la catégorie "Concours international", le film de Basil Da Cunha est à l'affiche du festival de Locarno. Tourné chez lui à Lisbonne, le réalisateur s'inspire des histoires des habitants de Reboleira pour créer un hommage à la résistance d'un quartier sur le point de disparaître.

Une enfance volée

Spira a 18 ans. Après 8 ans passés en maison de correction, il retrouve sa famille et ses amis à Reboleira, un bidonville de la banlieue de Lisbonne sur le point d'être détruit. Tandis qu'il redécouvre la vie dans son quartier, il doit se méfier de Kikas, un vieux dealer qui lui fait comprendre qu'il n'est pas le bienvenu. Le film narre la fin d'un quartier et d'une génération. C'est aussi la fin d'un cycle et le commencement d'un autre, qui appartient cette fois aux jeunes.

Reboleira, un quartier cher à Basil Da Cunha

"Quand je suis allé à Reboleira pour la première fois, je n'y suis pas allé pour faire des films. Je suis allé là-bas parce que les loyers n'étaient pas chers", raconte Basil Da Cunha. "Mais en tant que réalisateur, j'ai découvert un endroit où tous les gens que je rencontrais étaient des personnages. Je pourrais faire huit ou neuf films sur chaque gars que croise." Et de renchérir: "C'est l'endroit dans lequel je me sens le plus à la maison."

Un après-midi à Reboleira, j’étais dans un bar et un mec est entré avec un cheval pour commander une bière!

Basil Da Cunha

La résistance et notre époque moderne

Basil Da Cunha est-il un cinéaste résistant? "Je l'espère. J'essaie de filmer des choses que j'aime, et dont j'ai très peur qu'elles disparaissent. J’ai très peur de la normalisation". Dans le film, chaque personnage résiste à sa manière à ce qui lui arrive.

Basil Da Cunha se remémore l'une de ses répliques favorites du personnage de Giovanni, improvisée par l'acteur pendant le tournage: "Ce n'est pas derrière un ordinateur qu'on va conquérir le monde ou se faire de l'argent". Comme une sorte de désillusion face aux progrès du monde digital. Le réalisateur va plus loin: "Il a compris que le monde que l'on nous vend, où l'on serait tous interconnectés et où tout serait possible, c'est des conneries. Si ça se trouve, ce monde-là est encore plus injuste que celui d'avant, et en fait ses amis et lui n'en font pas réellement partie."

Une réalité qui dépasse le film

Pour le cinéaste, il était important que le personnage de Spira et son histoire soient réalistes. "Certains acteurs jouent en fait leur propre rôle, ou le rôle d'un copain. L'acteur qui joue Spira interprète en fait l'histoire d'un autre jeune qui joue dans le film".

Mon cinéma s’entremêle avec la vie, et la frontière est assez poreuse. C’est un cinéma qui est constamment en train d’être repensé, car on filme des choses qui existent et qui bougent.

Basil Da Cunha

D'ailleurs, il préfère ne pas s'immiscer dans la vie quotidienne des habitants qu'il filme: "Quand le spectateur voit des gens jouer aux cartes, ils y jouaient déjà avant qu'on tourne la scène, et ils vont continuer à y jouer après la scène". Malgré la petite taille de l'équipe de tournage – huit ou neuf personnes – l'existence du quartier a quand même été perturbée pendant certaines scènes. "Si tu veux filmer la vie, tu dois réussir à inverser le rapport de force qu'il y a entre le cinéma et la réalité", explique le réalisateur. "Si tu arrives avec une équipe de tournage trop grande, il n'y aura plus rien devant la caméra."

>>A voir: notre galerie photo "Sur les traces de... Basil Da Cunha" au festival du film de Locarno

Personne n'a lu le scénario

Autre particularité du tournage, le scénario n'a pas été montré aux acteurs. Il n'y a pas eu de répétitions non plus. Basil Da Cunha s'explique: "Cela ne m'intéresse pas de connaître l'interprétation que les acteurs vont avoir de mes idées. Ce que je veux, c'est qu'ils aient des intentions. Je réfléchis plutôt à l'endroit vers lequel je vais les placer et aux intentions de jeu que je vais leur donner".

Je pense qu’aucune idée n’est aussi forte que celles que la réalité produit.

Basil Da Cunha

Une démarche pas aussi risquée qu'on ne pourrait le croire. Il faut dire que le réalisateur a écrit le scénario pour de jeunes acteurs qu'il connaît bien. "Les lignes de dialogue du scénario sont très proches de tout ce que vous entendez dans le film, pourtant personne n'a lu quoi que ce soit!"

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